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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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Hypatie. Quand tu venais ici jadis, tes cent vingt chameaux ne portaient ni glaive ni Coran, mais de belles pièces de soie et de suaves bâtons d’encens. Quant à ton ignorance, ne viens-tu pas, durant toute cette dispute, de nous prouver qu’elle était toute relative ?
    — Femme perfide ! s’exclama Amrou en riant. Tour à tour moqueuse et flatteuse… Penses-tu me vaincre avec de tels arguments ?
    — Nous ne cherchons pas à te vaincre, répondit la jeune fille avec gravité, mais à te convaincre. À te convaincre que celui qui détruirait ces lieux serait le pire des criminels, devant Dieu et devant les hommes. On surnommait Ptolémée « Sôter », le Sauveur, car plus d’une fois, il tira Alexandre d’un fort mauvais pas. Mais moi, je dis qu’il méritait surtout ce qualificatif parce qu’il sauva tout le savoir du monde d’une époque en proie aux guerres et aux dévastations.
    — Crois-tu donc que l’avenir des peuples se construit sur les acquis du passé ?
    — Cela est vrai, et en épargnant la Bibliothèque, tu pourrais, sans déchoir, porter, toi aussi, ce beau surnom : Amrou le Sauveur.
    — L’ancien marchand que je suis préfère construire que détruire. Mais, je le répète, votre Bibliothèque me fait penser à la tour de Babel. Rassembler tous les écrits du monde est un aussi grand crime que de vouloir atteindre le ciel. N’est-il pas dit dans votre Bible que, pour punir les hommes de cette prétention, le Très-Haut les dispersa sur la surface de la terre et brouilla leur langue commune pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres ?
    — Le Livre s’amuse parfois avec les mots, intervint Rhazès. En hébreu, le nom « Babel » et le verbe « brouiller » se disent de la même façon.
    — Que me parles-tu de jeux de mots ? Si ton Livre est la parole de Dieu, il ne dit qu’une seule vérité.
    — C’est justement ce que je voulais démontrer quand je t’ai parlé de la traduction de la Torah en grec. Permets-moi de te conter le miracle de la Bible des Septante.
    — Soit, mais demain. Et tu devras être éloquent, car je ne suis pas certain que ton récit sache me convaincre !
    Qu’il puisse surtout convaincre Omar, songea l’émir tandis que les trois Alexandrins se retiraient en s’inclinant cérémonieusement. Oserait-il alors réitérer le crime qu’on lui prête, brûler les derniers écrits du Prophète ?

La Bible des Septante (Premier pamphlet de Rhazès)
    De plus en plus, les textes affluaient à Alexandrie, dans toutes les langues : syriaque, persan, égyptien, sanscrit, et j’en passe. Seul l’hébreu manquait. Les gens de la Bibliothèque ignoraient jusqu’à son existence, persuadés que la langue des Juifs était l’araméen. En effet, l’hébreu, langue écrite, est aussi langue sacrée. De plus, on tenait en grande méfiance ce peuple qui adorait un dieu unique, et refusait toute concession aux religions idolâtres.
    En ce temps-là, donc, Ptolémée voulait répandre sur son royaume le culte gréco-égyptien de Sérapis, par souci d’unir en une même croyance les deux communautés sur lesquelles il régnait. Apprécie, Amrou, cette leçon de civilisation, dont la tolérance religieuse était la première composante. Jamais le roi n’envisagea d’extirper par le glaive et le feu la singulière idolâtrie que les Égyptiens vouaient aux animaux. Bien sûr, donner des tartines de miel à un crocodile ou adorer une vache semblait ahurissant aux Grecs. Mais après tout, Zeus, le maître de l’Olympe, n’avait-il pas pris une apparence animale pour séduire Io ? Aussi fut-il décidé que les dieux grecs et égyptiens cohabiteraient sans se combattre. Au lieu d’être opposés, ils seraient juxtaposés. Alexandre avait d’ailleurs donné l’exemple : il s’était proclamé fils de Zeus et d’Ammon, dieu égyptien à tête de bélier. Son successeur Ptolémée décréta habilement d’autres mariages, tel celui de Dionysos et d’Osiris, dieux mâles refondus en une sublime déesse, Sérapis.
    Le roi n’imposa ce nouveau culte à personne, mais bien des flatteurs et des ambitieux s’y plièrent avec zèle. Parmi eux, le fondateur du Musée, Démétrios. Il s’y convertit promptement et officia aux cérémonies.
    Un jour, le roi déambulait dans les couloirs de la Bibliothèque. En l’absence de Démétrios, il était accompagné par Aristée, un officier juif chargé de la surveillance de l’édifice.

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