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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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mère agonisant en gésine, soldat au bras arraché peut-être par ton sabre… Que pèsent alors nos débats, pour lui, face à tant d’abominations ? Sa gaieté, son apparente légèreté lui permettent d’oublier par moments la hantise de ces affreuses images.
    — Je n’ai pas besoin de toi, Hypatie, pour justifier ma conduite, grinça Rhazès dont toute malice avait disparu de la face.
    — Je te prie de ne pas parler sur ce ton à cette femme, gronda Amrou.
    — Je crois que le repas est servi, intervint Philopon qui ne tenait pas à ce que le débat dégénère en querelle de coqs. Comprends-tu pourquoi, Amrou, je ne me lasse pas d’entendre l’histoire des Septante ? Elle est pour moi la rencontre entre la Philosophie et la Révélation. Et toute ma vie n’a été qu’un combat pour cette union.
    — Pourtant, je ne vois pas où est le miracle dans ces soixante-douze traductions rigoureusement authentiques, maugréa Amrou. Tout mot hébreu n’a-t-il pas son équivalent grec, qui signifie exactement la même chose ?
    — Quand je t’ai parlé de l’assonance entre « Babel » et le verbe « brouiller », dit Rhazès, ce n’était pas pour faire un vain étalage de mon érudition, encore moins pour ironiser. Je voulais dire que le sens n’est pas tout. Sinon, les Septante auraient choisi d’écrire « la tour de l’embrouillamini », par exemple, ce qui eût été une trahison. Trahison que commit le pseudo-Aristée dans sa Lettre , où il traduit « anciens » par « vieillards », alors que l’âge n’avait rien à faire dans l’histoire. Que ressens-tu, homme du désert brûlant, quand je t’évoque « la neige » ? Pas du tout la même chose, sans doute, qu’un hyperboréen. Si un jour tu t’avises de faire traduire ton Coran en grec ou en latin, tu constateras que chaque mot est un obstacle que parfois on est obligé de contourner. À moins, bien sûr, que le miracle des Septante ne se renouvelle pour le livre de Mahomet.
    — J’y ai pensé. J’ai même proposé au calife de m’en occuper moi-même, afin d’apporter la parole divine aux peuples dont j’aurais conquis le territoire. Il s’y est refusé, arguant que ce serait un sacrilège, car le Seigneur s’est adressé au Prophète en langue arabe et dans aucune autre.
    — Un dieu qui ne parle qu’une langue ! Drôle de façon de concevoir son universalité, plaisanta Rhazès.
    — Tant pis ! soupira le général. Autant vous l’avouer, je commence à admirer cette Bibliothèque et celui qui la fonda, Ptolémée le Sauveur. Et s’il ne tenait qu’à moi, je serais enclin à faire d’Alexandrie le joyau de l’Islam. Mais je ne suis qu’un soldat et je devrai obéir, quel que soit l’ordre que me donnera le calife Omar. Aidez-moi à le convaincre qu’il faut respecter toute cette grandeur passée. Racontez-moi encore d’aussi profondes histoires que celle de la Bible des Septante. Celle-là le touchera, comme elle m’a touché. Aidez-moi à lui prouver que tous ces livres ne vont pas à l’encontre du Coran, mais au contraire qu’ils le confirment, qu’ils lui offrent encore plus de grandeur. Peut-être alors s’inclinera-t-il… L’un d’entre vous a évoqué un jeune homme que son génie rendait insolent, et qui comptait les étoiles. Est-ce utile d’en parler à Omar ? Le calife ne verra-t-il pas en lui un disciple du démon prêt à défier Dieu en tentant de répertorier Son Œuvre ?
    — Euclide ne comptait pas les étoiles, corrigea doucement Hypatie. Mais la géométrie, dont il fut l’inventeur, mène forcément à l’observation des astres. Au fond, Amrou, tu es sans le savoir un disciple d’Euclide. N’est-ce pas en suivant la route du soleil, le jour, et grâce à la position des étoiles, la nuit, que tu as pu mener ton armée jusqu’ici ?
    — Tu me conteras demain l’histoire de cet Euclide. En attendant, retirez-vous en paix et pesez vos arguments.
    Ainsi, ce n’est pas toi l’ennemi, Amrou, mais ton monarque, songea, soulagée, la belle savante. Partons donc de l’axiome suivant : tout général vainqueur finit par désirer le trône de celui pour qui il s’est battu. Prends garde, César du désert. Telle Cléopâtre, je vais dérouler devant toi un tapis de savoir. Tu en viendras à convoiter Médine, ainsi que le pouvoir de son grand pontife, le dénommé Omar.

Les insolences d’Euclide (Premier chant d’Hypatie)
    On ne sait que peu de choses sur

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