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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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sais pourtant bien, jeune homme, dit Démétrios, que Pythagore écrivait que le triangle est le principe de toute génération et de la forme de toutes les choses engendrées. Or, que sont ces pyramides sinon un assemblage de triangles ?
    — Je l’ai ouï dire, mais j’ignorais – à mon âge j’ignore encore beaucoup de choses – qu’il existât des traces écrites de sa pensée. Ce que je sais, en revanche, c’est que les triangles pythagoriciens n’ont rien à voir avec ceux qui composent les quatre faces de la pyramide. La figure sacrée des Égyptiens était un triangle rectangle qu’ils estimaient parfait, donc sacré. Parfait parce qu’il était unique. Leurs arpenteurs avaient trouvé un moyen fort habile pour obtenir l’angle droit. Avec un long cordeau, ils faisaient des nœuds à distance régulière. Avec les longueurs Trois, Quatre et Cinq, ils formaient le seul triangle rectangle dont les côtés soient une série arithmétique. Les prêtres s’en emparèrent et déclarèrent que la ligne verticale, celle de Trois, était le principe géniteur Osiris ; la ligne de base, le Quatre, le principe concepteur Isis ; et l’hypoténuse, le Cinq, la naissance, Horus. Il est possible que Pythagore, visitant l’Égypte, découvrit, grâce à cette figure considérée comme sacrée, son fameux théorème. Je ne vous l’énoncerai pas, vous le connaissez autant que moi ( voir Note savante #1 ).
    La démonstration d’Euclide avait laissé ses juges pantois, d’autant que certains d’entre eux n’avaient pas tout saisi. Démétrios demanda :
    — Tu nous affirmes donc que tu n’as retrouvé nulle part, dans les pyramides, ce triangle sacré ?
    — Je n’affirme rien du tout, car je ne l’ai pas cherché. Je ne suis qu’un médiocre architecte, mais il me semble que ces monuments n’auraient pas résisté longtemps au sable du désert s’ils avaient été érigés selon cette figure. Un théologien ou un philosophe pourrait consacrer ses loisirs à cela. Il trouverait certainement ce fameux triangle au prix de quelques contorsions…
    Et le géomètre ponctua son propos d’un sourire malicieux qui en agaça plus d’un. Euclide poursuivit :
    — Quant à moi, je ne me soucie pas de la symbolique des nombres ou des figures. Que le Quatre soit principe féminin ou le cercle représentation de la face d’Apollon me semblent de vaines propositions, puisqu’elles ne sont pas démontrables. La beauté et l’utilité des mathématiques sont ailleurs. Que les prêtres et les philosophes s’amusent avec elles, ma foi, c’est leur affaire. Pour ma part, j’en veux faire le meilleur outil pour les architectes, les arpenteurs, les mécaniciens et les astronomes.
    Certains membres du jury, notoires pythagoriciens, se mirent à gronder. Euclide perçut qu’il était allé trop loin et que ce ne serait pas de cette manière qu’il obtiendrait son intronisation dans le Musée. Il se fit plus humble :
    — Pardonnez la fougue de ma jeunesse. Cette ébauche des Éléments dont vous avez pris connaissance doit tout aux philosophes, et au plus grand d’entre eux, Aristote. Sans sa méthode du syllogisme, je ne serais rien, je ne saurais rien, je n’aurais rien découvert.
    — Attention, jeune homme, prévint Démétrios, tu t’aventures là sur un terrain où j’ai quelques connaissances. Il te faudra être convaincant. Prenons le plus simple et le plus célèbre de ces syllogismes : « Tout homme est mortel, Socrate est homme, donc Socrate est mortel. » En quoi ta géométrie a-t-elle à voir avec cela ?
    — Elle a à voir dans son majeur : « tout homme est mortel », affirmation indémontrable, sinon en répertoriant toutes les généalogies depuis la naissance du premier être humain, ce qui est impossible. Mais même le plus sot d’entre les sots peut en voir l’évidence et la réalité. Je vous propose à mon tour un majeur, un postulat : « Par un point situé hors d’une droite, on ne peut mener qu’une parallèle à cette droite. » En êtes-vous d’accord ( voir Note savante #2 ) ?
    Euclide répéta, et les membres du jury se plongèrent dans une intense réflexion. Certains s’enfouirent le visage dans leurs mains, d’autres se tapotèrent le menton avec l’index, d’autres encore tracèrent du doigt sur la table d’invisibles figures. Le roi, lui, leva les yeux au ciel, ses lèvres remuèrent sans émettre un son. Enfin, il dit :
    — Tu as

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