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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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dit Rhazès, que dans ces vils ouvrages humains, il pourra découvrir comment porter plus vite et plus loin encore la parole de votre Dieu sur des vaisseaux solides, par les routes les plus sûres, dans des contrées dont il n’a aucune idée, mais dont ces livres parlent. Rien n’est achevé, rien n’est figé, Amrou, et l’Histoire continue d’aller son train. Ta présence en ces murs n’en est-elle pas la preuve ?
    — Sans doute. J’ajouterai qu’avec le Coran, une nouvelle ère commence. Une ère de pureté et de vérité. Une ère débarrassée des superstitions païennes. La pire d’entre elles, Hypatie, n’est-elle pas de vouloir lire dans les étoiles l’avenir des hommes ?
    — Les astronomes ne cherchent dans les astres ni à connaître leur destin, ni à contempler la face de Dieu, s’exclama la jeune femme pas très convaincue de ses propres paroles. Ce ne sont que des arpenteurs du ciel, des admirateurs de l’œuvre divine, mais aussi des géographes des étoiles qui, en traçant les cartes d’en haut, permettent que celles d’ici-bas soient plus précises et plus sûres pour les voyageurs.
    — Parle-moi donc de celui à qui Euclide confia son bâton. Cet Aristarque de Samos devait être le meilleur d’entre eux. Ce qu’il a découvert devrait suffire à me convaincre que mesurer le ciel comme un vulgaire champ de blé n’est pas un sacrilège.
    Sotte que je suis, songea Hypatie. Pourquoi ne lui ai-je pas tu l’existence d’Aristarque ? Et je ne puis lui mentir, maintenant. Tâchons donc de lui raconter l’histoire autrement, mais sans fausser la vérité.

Les étoiles et le sable (Deuxième chant d’Hypatie)
    Observer le ciel est encore de nos jours un métier aussi dangereux que celui de soldat. Plus peut-être, car l’astronome est seul, sans armée derrière lui. Seul face aux princes qui, non contents de régner sur la terre, aimeraient faire croire que leur trône leur a été offert par les cieux ; seul face aux prêtres et aux oracles, qui redoutent que l’explication du mouvement des étoiles ou l’annonce d’une éclipse ne mettent à nu les mystères sur lesquels ils fondent leur pouvoir ; seul face aux terreurs et aux superstitions du peuple, qui tiendra l’astronome pour coupable des séismes, inondations, famines, sécheresses, car il a osé s’aventurer dans le domaine des dieux et des démons…
    Et pourtant, l’astronome continue de fouiller le ciel, d’arpenter les astres, de chevaucher les planètes, de regarder le soleil en face. Là-haut, il oublie la geôle ou la hache du bourreau qui le menacent.
    Aristarque de Samos était le plus imprudent de tous. Il avait emprunté à son maître Euclide sa fougue et son insolence. Quand il lançait, devant ses collègues bien plus rassis et plus sages que lui, une de ces hypothèses sulfureuses dont il avait le secret, plus d’un dans l’assemblée frémissait de terreur et regardait autour de lui pour voir si un espion des prêtres ne les écoutait pas.
    En ce temps-là [2] , comme naguère pour les mathématiques, Alexandrie avait détrôné Athènes dans le domaine de l’astronomie. Car là aussi, selon ce qu’avait voulu Euclide, observer le ciel n’était plus affaire de philosophes et de poètes, mais de géomètres. Observer, mesurer, calculer, tels étaient désormais les maîtres mots. Un fait seulement était démontré : la Terre était ronde. Pour le reste, on acceptait ce qui était la règle depuis Platon et son élève Eudoxe : cette boule où nous vivons était immobile au centre de tout, et l’Univers tournait autour d’elle.
    Aristarque voulut remettre en cause ce postulat. Il croyait pouvoir tout se permettre : Ptolémée II Philadelphe couvrait ses incartades, et le bâton d’Euclide était pour le savant la meilleure des cautions. Cette canne, maintenant légèrement sculptée et incrustée de fils d’or, lui servait d’outil de travail. Il allait la planter au cœur du désert à différents endroits selon l’heure et la saison, rustique horloge solaire, et son ombre, qui était aussi celle du grand Euclide, lui permit de mesurer mille et une distances célestes.
    Mais un jour, il décida de rendre publique la somme de ses travaux, avec un livre intitulé : Les Grandeurs et les Distances du Soleil et de la Lune. Le scandale éclata. Le grand-prêtre de Sérapis, le plus important personnage religieux d’Alexandrie, demanda au roi une audience immédiate. Et

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