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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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Ptolémée Sôter à Alexandrie.
    Sans prétendre pénétrer les cœurs, je pense qu’au fond de lui-même il essayait de se faire pardonner son alliance avec les Romains et prouver que son royaume qui, pourtant, ne devait sa fortune qu’à ses trahisons, était devenu le meilleur défenseur de la pensée et de l’art hellènes. C’est pourquoi Eumène osa prétendre à fonder lui aussi sa bibliothèque, qui serait, bien sûr, plus riche et plus complète que celle d’Alexandrie. Mais, obsédé par l’idée d’être légitimé par ses pairs, il ne voulut dans ses rayonnages que des livres grecs, et sous ses préaux que des savants et des écrivains grecs.
    Cependant, Alexandrie vivait des jours paisibles, dans une neutralité hautaine face aux événements du monde, sans se soucier des orages qui s’accumulaient au-dessus de notre mer, tel l’olivier noueux qui sait que nulle tempête ne pourra le déraciner.
    Le Musée était alors mené d’une main de fer par Aristophane de Byzance, un grammairien d’une érudition extraordinaire. Il avait publié les versions définitives d’Homère, d’Hésiode, d’Alcée, de Pindare, d’Euripide, d’Anacréon et de son homonyme Aristophane. Le théâtre faisait avec lui son entrée en force dans les rayonnages.
    On peut dire aussi qu’Aristophane de Byzance inventa le dictionnaire, établissant des listes de termes archaïques, techniques ou peu usités, et de proverbes. Mais surtout, et tel est ce que tu devras lire en premier si tu veux approcher les beautés de la littérature grecque, il sélectionna dans chaque genre les textes qu’il considérait comme des exemples de perfection et les publia sous le titre Les Canons d’Alexandrie.
    Chaque année, se tenait sous l’égide du roi un concours pour ceux qui postulaient à entrer dans le Musée. On demandait à chacun d’entre eux de composer un poème et de le lire. Parfois, quand un candidat récitait un texte particulièrement beau, le jury ne pouvait retenir ses acclamations. Seul Aristophane, impassible, n’applaudissait pas. Quand le calme revenait, il se levait et disparaissait quelques minutes dans la bibliothèque. Il en revenait, un vieux rouleau en main. Il le lisait à voix haute. C’était le même texte ou presque que celui du si brillant candidat. Jamais Aristophane ne fut pris en défaut. Et le plagiaire était chassé de la ville. En général, il partait se réfugier auprès d’Eumène II, bien moins regardant sur la qualité des gens qu’il recrutait.
    Pourtant, la bibliothèque de Pergame continuait de grandir. Après six ans d’existence, elle possédait déjà un fonds de quarante mille livres. On y employait les mêmes méthodes qu’Alexandrie à ses débuts, mais avec bien moins de scrupules. On réquisitionnait les rouleaux transportés par les bateaux, mais on négligeait de rendre une copie des ouvrages en échange des originaux. Et surtout, chaque fois que l’allié romain remportait une victoire en Grèce ou en Illyrie, Pergame réclamait sa part de butin : le fonds des bibliothèques publiques et privées des cités vaincues. Les rustres soldats romains ne se faisaient pas prier. Ils ne voyaient pas encore, Amrou, la puissance que peut donner le livre aux conquérants. Ils clamaient plutôt l’éloge de la mâle vertu, qui n’a besoin que d’un soc pour féconder la terre et d’un glaive pour tuer l’ennemi. Les arts, les lettres n’étaient encore pour eux que distractions lascives de peuples décadents. Les Muses ne sont-elles pas femelles ?
    À Alexandrie, le bibliothécaire Aristophane comprit le premier que Pergame contestait désormais dangereusement l’hégémonie du Musée. L’afflux de livres vers l’Égypte se tarissait. En revanche, grossissait le nombre de faussaires, de plagiaires, d’escrocs qui tentaient de lui vendre à peu près n’importe quoi qui ressemblât plus ou moins à un manuscrit ancien. Bien sûr, le vieil érudit n’avait aucun mal à déceler les supercheries, mais ses forces faiblissaient et il n’était pas du tout sûr que son successeur désigné, Apollodore d’Athènes, eût les épaules assez larges pour reprendre la charge.
    Il alerta le roi Ptolémée V Epiphane, qui haussa les épaules. Ses soucis étaient autres : monté sur le trône à l’âge de quatre ans, Epiphane commençait sa deuxième décennie de règne dans un état de langueur qui lui faisait croire qu’on cherchait à l’empoisonner. En fait, la

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