Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie
par Hérodote, il y a plus de mille ans de cela ! Et Ératosthène paya des marcheurs pour accomplir le trajet de Syène à Alexandrie.
Lorsqu’il eut enfin réuni toutes ces données d’origines fort diverses, il en établit la moyenne, afin de minimiser les nombreuses sources d’erreur. Et il put triomphalement annoncer au roi Évergète le résultat : la distance entre Syène et Alexandrie étant de cinq mille stades, la circonférence de la Terre était de cinquante fois plus encore, soit deux cent cinquante mille stades ( voir Note savante #10 ).
Enfin, cette Terre, qu’il venait d’arpenter par la chaîne implacable du raisonnement mathématique, il la découpa, telle une pastèque, en trois cent soixante parts égales, selon la façon de graduer des Babyloniens. C’est ainsi qu’Ératosthène, cet « athlète du savoir » comme on se plut désormais à le nommer, inventa aussi la géographie, près de trois siècles et demi avant Ptolémée – je parle du savant, naturellement, celui qui ne fut jamais roi, sauf dans son domaine, les sciences de l’univers !
Où Amrou s’avoue poète
— Tous ces Hercules de la connaissance, poètes, philosophes, hommes de science dont vous m’avez parlé, dit Amrou, par quelle rage venaient-ils se mêler des affaires de la cité et de la religion ? Que les uns se contentent de rimer, les autres de penser et les troisièmes d’inventer. Et qu’ils laissent aux rois le soin de gouverner, et aux prêtres de prier !
— Encore faudrait-il, répliqua Rhazès, que ces derniers fassent bien leur métier. Et qu’eux-mêmes ne se mêlent pas de rimailler ou de légiférer sur la forme de l’Univers. Ton calife ne décidera-t-il pas des bonnes et des mauvaises découvertes de la science, comme ces prêtres qui, sans y rien connaître, ont décrété la Terre plate ? Quant aux princes et aux généraux qui se piquent de littérature, il faudrait un rayonnage entier pour contenir leurs méchants ouvrages.
— Il est vrai que moi-même, dit Amrou en se caressant la barbe et en lorgnant Hypatie du coin de l’œil, il est vrai que moi-même, dans la solitude du désert, je m’essaie à écrire quelques vers, que Allah me pardonne, sur l’immensité de la Création.
— Toutes mes félicitations, complimenta très sérieusement Philopon. Et n’écoute pas cette mauvaise langue de Rhazès. Princes et militaires ont parfois écrit des œuvres honorables. Nous t’avons parlé de l’ouvrage sur Alexandre de Ptolémée Sôter, mais je pense aussi aux écrits de César et de bien d’autres. Quant aux prêtres, ah ! il faudrait que tu lises Augustin d’Hippone, qui fut le plus sublime écrivain et penseur de la chrétienté.
— À vous entendre, j’ai bien des choses à lire, ironisa Amrou. Et nous n’avons guère le temps. Vous n’avez toujours pas répondu à ma question : pourquoi diable poètes et savants s’occupent-ils des choses du pouvoir alors qu’ils ne devraient s’intéresser qu’aux choses du savoir ? Et ce Callimaque que tu as tant dénigré, Rhazès, me paraît plus courageux qu’un Archimède d’avoir su refuser les honneurs que lui offrait le roi.
— Ne crois-tu pas plutôt, intervint Hypatie, qu’en se dérobant ainsi, il s’est comporté en égoïste et en jaloux, ne pensant qu’à son art et à celui de son rival Apollonios, au lieu d’agir dans l’intérêt commun, celui de la Bibliothèque ? Vois au contraire l’exemple de mon oncle Philopon, qui a sacrifié ce qui aurait pu être une œuvre immense à la défense de ces lieux contre les outrages du temps, et maintenant de tes guerriers.
— Laissons cela, ma nièce, je te prie, protesta le vieillard. Pour te répondre, général, je te dirais que ce ne sont pas les écrivains ou les savants qui s’occupent de politique, mais plutôt la politique qui s’occupe d’eux. Et les rois ont plus besoin des poètes que les poètes des rois. Ceux-ci se passeraient bien des pensions que le monarque leur verse et des couronnes qu’il leur tresse. Quant aux rois, ce n’est pas tant des textes à leur gloire dont ils ont besoin, mais des visions des poètes dont la vue perce si loin derrière la réalité immédiate des choses. Ils ne sont pas prophètes, car leurs paroles ne sont pas dictées par Dieu. Et malheur au poète qui se prendrait pour tel. Mais ils voient ce que nul autre mortel ne peut voir. Hélas, les princes n’écoutent que rarement cette très haute
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