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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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son génie, et il mourut à l’âge que les Grecs assignaient comme limite ultime de la vie. À dire vrai, il força quelque peu la destinée lorsque, devenu aveugle, il se laissa mourir de faim parce qu’il ne pouvait plus lire.
    Mais auparavant, que de prodiges n’accomplit-il pas ! Étant moi-même médecin et non point mathématicien, je ne saurais te décrire en détail, Amrou, la méthode qu’il inventa pour trouver les nombres premiers et que l’on désigne sous le nom de crible ( voir Note savante #8 ), pas plus que je ne connais les noms des sept cent trente-six étoiles qu’il répertoria dans son catalogue de Catastérismes. Mais ce que je sais, c’est qu’il fut le premier homme à calculer la circonférence de la Terre.
    Pour accomplir un tel exploit, il mesura la différence d’ombre portée des rayons du soleil à son zénith estival en deux lieux éloignés l’un de l’autre : Alexandrie d’une part et la cité méridionale de Syène, où son maître Aristarque avait terminé sa vie dans un oubli complet. Il lui rendait ainsi le plus bel hommage, car c’était grâce aux méthodes de calcul du maître astronome qu’Ératosthène put mesurer le tour de la Terre. L’incrédulité que je lis sur ton visage, Amrou, m’engage à te donner quelques explications…
    Ératosthène avait appris de la bouche de voyageurs que, à Syène, au premier jour de l’été que nous appelons solstice, à midi précis, les rayons du soleil plongeaient à la verticale dans un puits profond de près de cent coudées. Durant ce bref instant, la foule émerveillée pouvait apercevoir le rond miroitant de l’eau qui, d’ordinaire, croupissait dans l’ombre au fond du puits. Or, notre savant avait maintes fois planté le bâton d’Euclide à différents endroits selon l’heure et la saison, et il savait fort bien qu’à Alexandrie, le soleil projetait toujours une ombre. Il fit donc l’ingénieux raisonnement que, s’il mesurait la longueur de l’ombre à Alexandrie à l’heure où il ne s’en produisait pas à Syène, il saurait calculer le tour de la Terre. Le jour et l’heure venus, il réalisa l’opération et déduisit l’angle sous lequel le soleil dardait ses rayons sur Alexandrie : un cinquantième de cercle, très précisément. Par la géométrie la plus simple, Ératosthène en conclut que le périmètre de la Terre était égal à cinquante fois la distance de Syène à Alexandrie ( voir Note savante #9 ). Mais cette distance, comment l’évaluer ?
    Une légende rapporte qu’en interrogeant des caravaniers, Ératosthène apprit qu’il fallait cinquante jours à un chameau pour faire le voyage, et que cet animal parcourait en moyenne cent stades par jour. En réalité, Ératosthène n’aurait su se contenter d’une approximation aussi grossière. Bien au contraire, un précieux ouvrage de la Bibliothèque rapporte comment le savant déploya les ressources de son génie pour parvenir au but.
    Il entreprit d’accumuler toutes les mesures d’arpentage du terrain connues en son temps : récits de caravaniers, mais aussi relevés de cadastre, longueur des chemins de halage, comptes rendus des compteurs de pas professionnels. Sais-tu par exemple, Amrou, que dans le pays que tu viens de conquérir, l’inondation du Nil altère chaque année les bornes et les frontières entre les champs cultivés ? Afin de fixer les droits de propriété, les Ptolémées avaient nommé en chaque chef-lieu de circonscription un directeur des finances et du cadastre, chargé de consigner les dimensions des « sphragides », ces parcelles du cadastre arpentées par les mesureurs royaux. Ératosthène rassembla ces données et les consigna soigneusement dans son carnet. Il consigna aussi les mesures relatives à la longueur du Nil, qui coule entre Syène et Alexandrie en suivant à peu près la direction du nord. Les imposantes thalamèges qui descendaient le fleuve, chargées des graines et des précieuses étoffes du Soudan, devaient être tirées par des haleurs. Ceux-là faisaient avancer les bateaux à l’aide de grandes cordes, les schènes, toutes de même longueur, de sorte que le nombre de schènes utilisées donnait aisément la distance séparant les relais de halage. Sais-tu enfin, Amrou, que les routes de l’Égypte, comme toutes celles des pays hellénisés, étaient arpentées par des compteurs de pas professionnels ? Le jour de marche était une unité de mesure déjà utilisée

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