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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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était d’un très jeune veau, ce qui lui avait coûté bien plus cher.
    Comment le roi lui arracha-t-il son secret, quel était le nom de ce berger, quel fut son destin ? On l’ignore. L’Histoire ne retient que le nom des rois. Celui des pauvres gens ressemble à un grain de sable.
    Il ne brille qu’à l’instant où une goutte de pluie le touche. Après, tout s’évapore. En tout cas, le parchemin était né [5] .
    Les Alexandrins poussèrent les hauts cris. Oser coucher la pensée d’Aristote ou de Platon sur de la couenne de bétail mort, quelle ignominie ! De doctes médecins du Musée affirmèrent qu’écrire sur parchemin provoquait de terribles maladies de peau, et qu’y lire rendait aveugle. Les prêtres s’en mêlèrent et prétendirent qu’user ainsi de la peau d’un jeune veau était une aussi grave offense à l’Olympe que de manger la part faite aux dieux lors d’un sacrifice. Cependant, dans les montagnes de Phrygie, troupeaux de chèvres, vaches et moutons se raréfièrent singulièrement. Peu à peu, le parchemin prit son essor, mais ne supplanta le papyrus que bien longtemps après, sous la domination romaine.
    La victoire de la bibliothèque de Pergame semblait définitive. Pourtant, malgré la richesse de ses fonds et la prééminence désormais acquise du parchemin sur le papyrus, les savants préféraient toujours venir étudier au Musée fondé par Ptolémée Sôter, où ils se sentaient sous la protection des grandes ombres du passé, Euclide, Ératosthène ou Callimaque. Ainsi arrivèrent, à cette époque, un astronome et géographe comme Hipparque de Nicée et le philologue Aristarque de Samothrace, qui œuvrèrent sous la bienveillante protection du bibliothécaire Apollodore d’Athènes.
    Le bâton d’Euclide échut à Hipparque. Reprenant avec un grand respect les travaux de ses maîtres, il inventa la sphère armillaire qui lui permettait de mesurer les coordonnées écliptiques des astres, inventa le calcul trigonométrique, dressa le catalogue des étoiles et découvrit la précession des équinoxes. Hypatie t’expliquera tout cela mieux que moi. Grâce à lui, on put croire à la renaissance de la grande école d’astronomie alexandrine.
    De leur côté, les savants de Pergame, attirés là-bas bien plus par les considérables salaires que le roi leur proposait que par la pure recherche, avaient pour consigne de dénigrer tout ce qui avait été découvert depuis si longtemps par la bibliothèque rivale. Ainsi, un certain Posidonios de Rhodes s’acharna sa vie durant à réduire la circonférence de la Terre calculée par Ératosthène, cependant que les grammairiens réécrivaient sans scrupule les grandes œuvres anciennes que les érudits d’Alexandrie avaient mis tant de temps à reconstruire dans la version la plus proche des originaux.
    Mais l’embellie du Musée ne dura guère, un peu comme cette euphorie qui prend les mourants. Tout organisme a pour tendance naturelle de laisser perfuser jusqu’à sa tête les fruits secs et les médiocres. Et, comme si le destin des Ptolémées et celui du Musée étaient indissolublement liés, à Alexandrie, tout sombrait en même temps. Des troubles éclatèrent aux frontières : le petit peuple égyptien des campagnes menaçait de se soulever pour tenter de briser enfin le joug grec qui pesait sur lui depuis qu’Alexandre avait fondé la ville cent soixante ans auparavant.
    En réalité, la révolte grondait à l’instigation du frère cadet du roi, un jeune homme énergique et sans scrupule qui n’avait qu’une idée en tête, détrôner son aîné Philométor. Ses agents excitaient la populace contre les savants du Musée et les Juifs qui, disaient-ils, s’engraissaient sur leur misère. Et à propos de graisse, le cadet était affligé d’un embonpoint tel que le peuple d’Alexandrie, toujours prompt à se moquer, lui avait donné le sobriquet de Ptolémée Physcon, « Boule de Suif ».
    Pour apaiser les tensions, Philométor accepta de partager le trône avec son frère Boule de Suif, tout en épousant sa sœur, la sage Cléopâtre II. Le couple royal eut un fils, Néos Philopator, et une fille, Cléopâtre III, qui ne cessa de grandir en beauté. Le règne de Philométor dura quinze ans, tandis que le cadet, Boule de Suif, attendait dans l’ombre. Un jour, Philométor prit la tête de troupes partant en guerre contre une nouvelle révolte, aux confins de la Palestine. Dans la bataille, gagnée

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