Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie
intérieur, présent en chacun de nous, que je conçois comme un guide, et qui nous rend libres face aux vicissitudes externes. N’y a-t-il pas là contradiction ? Car l’astrologie suppose que le caractère d’un individu est déterminé par les configurations célestes telles qu’elles se présentent au moment de sa naissance ou de sa conception. Mais, si tous les événements de la vie d’un homme sont déterminés par les astres, où se situe son libre arbitre ?
— La véritable astrologie n’est pas celle des horoscopes. Évitons de croire que tout ce qui arrive aux hommes est l’effet d’une cause venue d’en haut, comme si dès l’origine, tout avait été réglé à l’avance pour chaque individu et se produisait par nécessité, sans qu’aucune autre cause soit en mesure de lui faire obstacle. En vérité, si le mouvement des corps célestes s’accomplit de toute éternité en vertu d’un destin divin et immuable, le changement des choses terrestres est, quant à lui, soumis à un destin naturel et variable, tirant d’en haut ses causes premières selon le hasard. Les lois variables propres à notre monde sublunaire modifient les influences venues du ciel. Ainsi, dans le cas des grands désastres comme les guerres, c’est toujours la condition générale qui l’emporte sur le destin individuel.
— Donc, raisonna le consul, avant de déterminer la destinée d’un individu, l’influence des astres s’exercerait en premier lieu sur l’environnement général de l’homme, sur le climat, les pays, les régions et les cités ?
— L’astrologie, en effet, détermine le caractère général de chaque peuple. De cela tu déduiras, seigneur, que l’art de l’astrologue est d’une grande utilité politique. Le monarque avisé, instruit des prévisions astrales, plutôt que d’écraser les peuples sur lesquels il veut étendre sa domination, fera mieux d’apprécier par avance leurs tempéraments, afin d’en mieux comprendre les forces et les faiblesses, donc de les mieux gouverner.
— Il est vrai qu’en ce moment, murmura le consul, Rome se préoccupe fort des peuples turbulents de la Gaule. Qu’est-ce que ton art nous apprend à leur sujet, que nous ne sachions déjà ?
— Les Gaulois sont en général d’une nature rebelle à la soumission, épris de liberté, aimant les armes et les durs travaux, très belliqueux, faits pour commander, probes et généreux. Mais ils n’éprouvent pas de passion pour les femmes et méprisent les plaisirs de l’amour hétérosexuel. Ils sont en revanche beaucoup plus enclins aux rapports sexuels avec les hommes et y mettent beaucoup d’ardeur. Cela ne leur paraît pas honteux. Et, avec une telle disposition d’esprit, ils ne deviennent pas pour autant efféminés et lascifs. Ils gardent un esprit viril, sont sociables et loyaux, attachés à leurs proches et généreux.
Je t’épargnerai, Amrou, la suite de ce docte entretien qui se poursuivit fort tard dans la nuit. Marc Aurèle, ébloui par l’autorité de Ptolémée, lui demanda s’il accepterait de le suivre à Rome pour devenir son astrologue attitré. Bien entendu, Ptolémée refusa, prétextant de son âge avancé. Il lui recommanda plutôt un de ses jeunes élèves, Claude Galien. Ce dernier, fils d’architecte, né à Pergame, était venu suivre ses études à Alexandrie. Déçu par l’enseignement dispensé au Musée, il avait rejoint, à Canope, les disciples de Ptolémée. Mais il était apparu que Galien, géomètre méritant, avait surtout la passion et le génie de la médecine. Ptolémée l’avait vivement encouragé à suivre les traces des Hérophile et Érasistrate, les glorieux médecins qui avaient inventé l’art de l’anatomie ici même, à Alexandrie, alors au sommet de l’épanouissement artistique et scientifique suscité par Ptolémée Sôter. Au contact de l’astrologue, Claude Galien fut persuadé qu’admettre l’influence des astres sur les conditions météorologiques conduisait nécessairement à étendre cette influence aux fonctions des êtres vivants. Il avait donc établi tout un système d’analogies symboliques entre les zones du ciel et les parties du corps, de sorte que, lors des maladies, ses traitements restaient attentifs aux configurations du zodiaque et aux positions planétaires.
Bref, dès son retour à Rome, Marcus Annius Verus devint empereur sous le nom d’Aurèle, et conformément au conseil de Ptolémée, il fit
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