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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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vertu que lui, plein de crainte devant le Très Bienveillant, mais aussi devant le danger et la mort, il ne peut admettre que l’on prenne du plaisir ici-bas. Alors il élimine avec férocité toutes les oppositions. Nul ne peut discuter ses ordres, même parmi les plus anciens compagnons du Prophète qui devraient avoir pas sur lui…
    — J’en sais assez, conclut Philopon. Cet homme-là a subi tant d’humiliations durant la première partie de sa vie qu’il veut prendre sa revanche. Il veut laisser sa marque sur l’Histoire et surpasser même ton prophète. Ah, si je ne craignais pas tant pour le sort de nos livres, je me réjouirais que ta secte se soit trouvé un tel maître !
    — Et pourquoi, je te prie ?
    — Parce qu’à cause de son intransigeance, de son étroitesse d’esprit, de son impossibilité à écouter un avis contraire à ses désirs, bientôt, les hommes de son pays et de son culte vont se dresser contre lui. Et bientôt, il n’y aura plus un seul Islam, mais deux, dix, vingt. Autant dire aucun. Cela a bien failli se passer pour l’Église chrétienne voici deux siècles. Et pourtant l’évêque d’Alexandrie, Cyrille, était loin d’être de modeste extraction, contrairement à ton calife. Mais je laisserai à Hypatie le soin de te raconter demain cette histoire. Elle la concerne un peu.
    Convaincs-moi, belle Hypatie, songea Omar, convaincs-moi définitivement, et j’irai porter moi-même le fer dans les entrailles de ce chien d’Omar !

La femme et l’évêque (Dernier chant d’Hypatie)
    Quatre siècles avaient passé depuis que Philon était parti à Rome plaider sa cause. Le Temple de Jérusalem avait été détruit, le peuple juif dispersé plus encore, les barbares du Nord avaient envahi l’extrême Occident, et Byzance, devenue Constantinople, prenait le pas sur Rome. L’empereur Constantin s’était déclaré chrétien et tous ses seigneurs derrière lui, puis les familles et clans de ces seigneurs, jusqu’au dernier de leurs esclaves. Il est toujours plus facile de descendre que de monter.
    On était loin cependant de la simplicité des paroles du Christ, si toutefois elles furent simples. À Alexandrie, à Athènes, à Pergame, des écoles philosophiques, ou plutôt théologiques naquirent. Décidément, l’histoire ne fait que se répéter, à croire que dans certains lieux l’esprit toujours souffle, que le ciel soit pur ou couvert de nuages noirs. Les débats y étaient âpres, et concernaient tous la religion. Désormais, quiconque émettait une idée neuve ou non conforme au canon risquait au mieux l’exil, au pire la mort. Oublieux de leur passé de martyrs, les chrétiens faisaient subir à d’autres, qui pourtant n’avaient jamais été leur bourreau, ce qu’ils avaient souffert : les martyrs désormais, c’étaient les Juifs et les esprits libres, savants et philosophes. Il en va ainsi de toutes les religions, et je crains que les enfants d’Israël, si longtemps persécutés, n’agissent de même dans le futur, le jour où ils auront recouvré leur puissance. Ils persécuteront à leur tour leurs anciens bourreaux, leur désir de revanche s’étendra aux peuples paisibles qui ne demandent qu’à vivre sur leurs terres et à en partager les bienfaits.
    Mais revenons à l’histoire, car je vois Rhazès prêt à se fâcher. Sous l’expansion chrétienne, Alexandrie restait un havre de tolérance, du moins dans le quartier des palais. On ne détruit pas comme cela des siècles de brassage, d’échange, de savoir cosmopolite. Et puis la mer protégeait l’Égypte des invasions barbares qui avaient submergé l’Occident, et venaient battre comme des vagues jusqu’au pied de Constantinople. Au Musée, la philosophie désormais était reine. Certes, les sciences avaient connu un regain de splendeur, alors que le christianisme ne dominait pas encore la cité. Ptolémée et Galien avaient su satisfaire les puissants, les philosophes et les prêtres de toutes confessions. Comme le premier ne se souciait guère de religion et que le second croyait en une divinité universelle bien vague, l’Église chrétienne adopta l’œuvre considérable de ces deux savants disparus ; elle avait fait de même pour Philon en matière de philosophie. En réalité, elle ne se souciait pas d’étudier la nature. Elle ne s’interrogeait pas sur la façon dont elle fonctionne, pour tenter d’améliorer les souffrances humaines en tentant de percer ses

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