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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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provinces de l’empire. Beaucoup voyaient en lui le successeur d’Antonin le Pieux à la tête de l’empire. Le futur Marc Aurèle, donc, était de passage dans la province d’Égypte, et faisait étape à Alexandrie. La réputation de Ptolémée étant parvenue à ses oreilles, il manifesta le désir de s’entretenir avec lui. Formé à l’école d’Épictète, donc stoïcien convaincu, Marc Aurèle n’entendait pas seulement discuter science et philosophie avec le savant alexandrin. Il avait d’autres préoccupations plus terre-à-terre. Son épouse Faustine, une matrone de trente-cinq ans dotée d’un tempérament assez inflammable, était dernièrement tombée amoureuse d’un beau gladiateur. Peu intelligemment, elle s’était résignée à confesser sa passion à son mari. Le digne Marcus, bien que sceptique par nature, avait condescendu à consulter ses mages et ses astrologues, qui lui avaient conseillé un traitement radical : d’abord, naturellement, le gladiateur sacrilège avait dû être occis ; ensuite, Faustine avait dû prendre un bain de siège chaud, parfumé et prolongé, puis faire passionnément l’amour avec son époux légitime. À la suite de cette savante médication, le consul avait pu croire que la passion de Faustine s’était dissipée, et pour sceller leur réconciliation, il avait exigé qu’elle l’accompagnât dans sa tournée égyptienne. Mais vite, Faustine montra les premiers signes de la grossesse. Alors, Marc Aurèle se demanda avec inquiétude qui était le père. Certes, dans le doute, il pourrait faire supprimer l’enfant dès sa naissance. Mais, sans compter la haine que lui vouerait alors son épouse, qu’il aimait malgré ses infidélités, le stoïcien ne pouvait se résoudre à un acte aussi cruel. Ne valait-il pas mieux consulter le plus célèbre des astrologues, afin de s’assurer que les destinées de l’empire échoiraient à de nobles mains ?
    L’entretien eut lieu dans la luxueuse villa du consul. Ce dernier avait voulu honorer son visiteur. Il y avait partout une débauche de mets et de fruits : des raisins, des prunes, des dattes. Partout flottait un parfum de vins nouveaux, de substances chargées de baume, de sucs venus d’ailleurs. Mais quand Ptolémée s’avança d’un pas lent et mesuré, vêtu d’une étoffe rouge que la brise faisait flotter d’est et d’ouest, Marc Aurèle sentit un frisson parcourir sa peau. Il pressentit que cette rencontre allait bouleverser sa vie.
    — Noble savant, dit-il en guise de préambule, ta réputation d’astronome n’est plus à faire. On dit aussi que tu maîtrises au plus haut degré l’art de la prévision…
    Ptolémée prit son temps avant de répondre, sur le ton sentencieux et professoral qui était devenu, chez lui, comme une seconde nature :
    — L’astronomie permet de connaître les positions relatives que le Soleil, la Lune et les planètes adoptent à tout moment entre eux et par rapport à la Terre, du fait de leurs mouvements. L’astrologie, par l’analyse des caractères propres à ces configurations, nous fait détecter les changements qu’elles provoquent dans le contenu qu’elles englobent.
    — Fort bien, mais laquelle de ces deux voies te semble la plus sûre pour atteindre à la réalité de la nature ?
    — L’astronomie a le statut de science certaine, car la régularité et l’éternité des mouvements des corps célestes analysés grâce à l’instrument avéré que sont les mathématiques en garantissent la fiabilité. L’astrologie a le statut de science conjecturale, car son objet est l’effet produit par les configurations des astres sur notre monde sublunaire. Soumise à une infinité de variables, la réalité de la nature est le jeu de forces opposées qui la conditionnent.
    Marc Aurèle resta silencieux une longue minute, soucieux d’assimiler les difficiles pensées du savant.
    — À Rome, reprit-il brusquement, j’ai convoqué mes mages et mes astrologues. Je leur ai indiqué l’heure de ma conception et celle de ma naissance, et ils m’ont signifié ceci : j’aurai un enfant mâle, et sa date de naissance méritera d’être retenue car, ce jour-là, pour la première fois depuis la prise de pouvoir d’Auguste, un futur empereur naîtra dans la pourpre. Eh bien, confirmes-tu ce pronostic ?
    Ptolémée hésita avant de répondre, visiblement embarrassé.
    — Grand seigneur, finit-il par dire prudemment, je ne puis que souhaiter

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