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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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toutes les conditions requises pour être cosmocratôr. En effet, lorsque les deux Luminaires sont dans des signes masculins, et particulièrement si le Luminaire qui mène la famille diurne ou nocturne a également cinq planètes pour escorte, les sujets qui naissent continueront durant leur vie à être importants, puissants, et maîtres du monde !
    Après un moment de stupéfaction, Amrou eut un rire forcé, signifiant qu’il s’interdisait d’accorder la moindre importance à un horoscope aussi opportun :
    — Charmante Hypatie, à parler comme le docte Ptolémée, tu deviens aussi ennuyeuse que lui. Non, je ne crois décidément pas à ces prévisions astrales.
    — Et pour Omar, intervint enfin Philopon qui voyait à quel point les deux jeunes gens s’étaient à tour de rôle fourvoyés, si tu dois lui parler de Claude Ptolémée, il sera plus prudent de ne retenir que son système astronomique. Une grosse Terre, immobile au centre d’un Univers stable et prévisible, le rassurera.
    — Tu as raison, sage Philopon, il est temps de revenir à la réalité. Le destin de l’homme est, en somme, un destin de papier : il naît chiffonné, il meurt chiffonné, et ce n’est pas le médecin qui me contredira. Quant au destin de la Bibliothèque, il ne dépend que de la volonté d’Omar… ainsi que de la façon dont je lui relaterai cet entretien. Alors je le répète, aidez-moi à lui prouver que vos livres ne vont pas à rencontre du Coran.
    — Merci de ta compréhension, digne Amrou. Et puisque maintenant tu es prêt à demander à ton calife de ne pas s’en prendre à la Bibliothèque, parle-nous de cet Omar. En le connaissant mieux, nous saurons mieux t’aider à ébranler sa volonté.
    — Omar n’est pas seulement un barbu en manteau, même s’il s’en donne les apparences. Homme de peu d’importance dans une tribu de second ordre, il s’est opposé, dans un premier temps, à la prédication du Prophète, pour s’allier aux puissantes tribus de La Mecque. Puis, sentant le vent tourner, il est devenu l’un de ses plus fervents adeptes. Lui-même raconte cependant une tout autre histoire, comme s’il voulait forger sa propre légende. Il prétend que dans sa jeunesse, il chapardait par nécessité aux étalages des marchands de dattes et de fruits, afin de nourrir sa pauvre famille ! Jusqu’au jour où, frappant par hasard à la porte d’une maison où se trouvaient quelques dévots, il aurait entendu réciter une sourate. Et Omar serait aussitôt devenu le plus pieux des musulmans…
    — Je me souviens, dit Philopon, de notre première rencontre, Amrou, quand tu étais revêtu des habits du marchand et non de l’armure du guerrier. Tu m’avais dit que le Coran, telle une colonne de voix qui s’élève depuis le jour où Mahomet a reçu sa Révélation, était fait non pas pour être lu, mais pour être dit à voix haute…
    — Dans ces conditions, fit Rhazès d’un ton acerbe, je vois mal comment Omar pourrait être convaincu de ne pas brûler les livres, puisqu’il n’accorde d’importance qu’au verbe au détriment de la lettre.
    — On dit même, renchérit Amrou, qu’il a détruit le testament du Prophète qui désignait son gendre Ali pour successeur, favorisant ainsi l’élection d’Abu Bakr à la mort de Mahomet. Et tout naturellement, à la mort d’Abu, il a pris sa place. Depuis lors, Omar est sorti de l’ombre, et a voulu que toutes ses actions soient éclatantes. Il nous a lancés dans la conquête des nations étrangères, il a fait construire des villes en Arabie. C’est lui qui a choisi l’hégire, année de l’émigration du Prophète à Médine, comme départ du calendrier musulman [8] . C’est lui encore qui s’est proclamé premier commandeur des croyants. Tout en restant d’apparence humble et modeste, il a vu avec effroi se développer autour de lui un faste inouï. Les premières conquêtes de l’Islam ont fait affluer les richesses du monde vers Médine. Toute une aristocratie se divertit aujourd’hui dans le luxe et le plaisir. Apprenez que Suqayna, la propre petite-fille du Prophète, tient un salon où l’on rencontre davantage de poètes et de chanteurs que d’imams spécialisés en théologie musulmane…
    — Ton Islam n’est donc pas si sévère ! sourit Hypatie.
    — Bien sûr, mais hélas, Omar ne représente pas le véritable esprit de l’Islam. Froid, calculateur, austère dans sa vie, exigeant des autres autant de

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