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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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détruire la Bibliothèque et l’arrivée du gouverneur, un proche d’Omar. Le délai était trop bref pour que le général fut accusé de sédition. Le calife, craignant qu’un acte de désobéissance du prestigieux chef de l’armée d’Égypte provoque une réaction en chaîne de la part des troupes d’occupation cantonnées en Syrie et en Palestine, avait trouvé un autre prétexte pour neutraliser un temps le trop populaire émir : il décréta qu’en envoyant ses fameuses lettres à ses amis de Médine et de La Mecque, Amrou avait commis une grave indiscrétion et révélé des secrets d’État. De cette manière, personne ne pouvait trouver à redire à la suspension du général, à commencer par le principal intéressé.
    De fait, comme il l’avait prévu, Amrou fut mis aux arrêts dans ses appartements du palais. Prison dorée, certes, mais dans laquelle il regretta amèrement son imprudence politique. Mais ce qu’il ne regretta pas, c’était d’avoir cédé aux douces injonctions d’Hypatie. Lorsqu’un de ses soldats était venu annoncer que le gouverneur nommé par Omar se présentait aux portes de la ville, suivi d’une forte escorte, le conquérant d’Alexandrie avait dit à ses amis alexandrins :
    — Cette fois, c’est bien fini. Je vais retenir cet homme encore quelques heures. Vous autres, rameutez vos gens et sauvez les livres qui doivent être sauvés.
    — Tous les livres doivent l’être, s’exclama Hypatie.
    — Hélas, ma nièce, soupira Philopon, il n’est plus temps. Quand la maison brûle, il faut choisir ce que l’on emporte.
    Philopon et Rhazès s’activèrent. Quels livres sauver ? Le choix était déchirant et les victimes seraient bien plus nombreuses que les œuvres épargnées. Amrou s’était proposé de les entreposer dans ses appartements, attenants au Musée. Hypatie lui avait fait découvrir une porte secrète qui permettait jadis aux bibliothécaires de pénétrer dans leur domaine à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Nul n’aurait soupçonné le général de receler ainsi ce qu’il avait ordre de détruire. Nul d’ailleurs n’aurait osé venir fouiller chez lui, pas même l’envoyé du calife.
    Que choisir ? Il fallait tout d’abord abandonner les livres dont au moins une copie était notoirement détenue dans une autre bibliothèque impériale, d’Orient ou d’Occident. Or, à l’exception de celle de Constantinople, rien n’était sûr. Rome avait été tant de fois mise à sac par les barbares qu’on ne savait plus rien de ce qui y existait encore. Depuis deux siècles, les bibliothèques de la ville étaient fermées comme des tombeaux. Tolède était entre les mains d’un roi Wisigoth que l’on disait fort ouvert aux arts et aux lettres. Mais cette rumeur était-elle fiable ? Quant au reste, la Gaule en proie aux hordes franques, Pergame que se disputaient Byzance et la Perse, tout ne devait être qu’un monceau de ruines.
    Philopon et Rhazès décidèrent alors de ne sauver que l’essentiel des grandes œuvres d’avant le christianisme. Qui savait en effet si, à Byzance, le patriarche ne s’aviserait pas, lui aussi, de détruire les œuvres impies ou païennes ? Philopon se chargea donc de cacher Platon, Aristote et Callimaque, la Bible des Septante, bannie désormais par Constantinople, Philon et quelques autres. Rhazès, lui, se chargea d’Euclide, Archimède, Ératosthène, Hipparque, Héron et quelques autres encore. Ils hésitèrent un moment sur le sort de Ptolémée le Géographe et Galien le Médecin. Ces deux-là n’étaient-ils pas tolérés par le dogme chrétien ? Ils les sauvèrent quand même. La chrétienté était tellement changeante au gré de ses conciles !
    Hypatie refusa, dans sa juvénile intransigeance, de participer à leurs débats et à ce sauvetage.
    — Le crime est le même, dit-elle, pour un livre brûlé et pour un million. En n’en sauvant que quelques-uns, nous nous faisons complices des assassins.
    Puis elle les quitta sans leur permettre de tenter de la faire revenir sur sa décision.
    — Maître, maître, les voilà !
    Un esclave affolé avait surgi dans le déambulatoire. Aussitôt, les bras chargés de rouleaux, ils partirent vers la porte dérobée menant aux appartements d’Amrou.
    — Hypatie ? Où est Hypatie ? s’inquiéta Rhazès.
    — J’ai laissé la maîtresse sur le perron du Musée, répondit l’esclave. Elle a dû se réfugier chez

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