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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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porte et, comme il marchait d’un pas
rapide, il se heurta le front avec grande violence contre une poutre, ce qui
lui ouvrit le crâne et le fit chanceler. On le transporta sur son lit où il
expira quelques heures plus tard. Il était âgé de vingt-huit ans et laissait
une veuve de vingt-deux ans qui avait perdu en un temps assez court son père,
sa mère, sa sœur, quatre enfants et son mari.
    « Notre bien-aimé Louis d’Orléans devint alors roi de
France, sous le nom de Louis le douzième, et pouvait donc épouser la reine Anne
à condition qu’il parvienne à faire annuler son mariage avec Jeanne de France.
    « En attendant qu’il soit libéré de ses liens
conjugaux, Anne s’en était retournée dans ses terres bretonnes. Je ne vous
raconterai pas l’épisode de l’annulation du mariage qui ne fut pas à l’avantage
de notre roi. Il vaut mieux n’en jamais souffler mot. Rappelez-vous ce qui est
arrivé à ce pauvre niais de Nago quand il a osé faire allusion au passé
matrimonial de notre monarque. Donc, son premier mariage annulé, il épouse en
secondes noces la reine Anne au début de cette année, non sans qu’elle ait
fortement négocié son alliance avec la couronne de France, changeant ainsi sa
titulature : sous Charles VIII “Anne par la grâce de Dieu reine de
France” devient sous Louis XII “Anne, reine de France, duchesse de
Bretagne” .
    « Quand on ose dire qu’un être humain ne change jamais,
notre roi donne une preuve évidente de la fausseté de cette affirmation :
un débauché rancunier aux mœurs dépravées se métamorphose en prince vaillant
plein de douceur, de sagesse et de prudence, très amoureux de sa reine au point
de devenir un exemple d’affection et de fidélité qui doit inspirer tous les
sujets du royaume.
    « Est-ce l’amour pour notre reine Anne ou la
satisfaction d’avoir obtenu sa main, son cœur et son corps qui le transforme au
point d’être un fidèle amoureux transi ?
    « La réponse est sous vos yeux, nous servons le plus
juste et le plus loyal des rois et j’espère que vous vous rendez compte de la
félicité qui vous est accordée de pouvoir peut-être distraire un jour un
monarque tel que lui. »
    Et le bon sieur Le Vernoy fut comme soulagé d’avoir terminé
son récit. Il alla tout de même vérifier que personne n’avait laissé traîner
une oreille à la porte, revint rassuré et reprit son office auprès de moi comme
si de rien n’était.
    J’en avais beaucoup appris sur mon maître et roi et je ne
m’étais pas trompé sur la signification de nos regards quand ils s’étaient
croisés lors de ma folle exhibition au monastère. J’avais compris à ce moment
précis que ma vie dépendrait dorénavant de cet homme au regard bienveillant et
je m’étais bien juré de le servir et de le satisfaire au-delà de mes aptitudes
jusqu’à mon dernier soupir.

 
Chapitre deuxième
    Ma formation réelle et intense se passait au mieux et je
m’entendais merveilleusement bien avec mon précepteur qui, d’emblée, avait
compris que je n’étais pas un petit imbécile niais et fat comme furent mes
prédécesseurs et comme l’ont été parfois mes successeurs. On ne forge rien sur
un idiot ; il m’avait refaçonné un esprit que je possédais déjà à la
naissance et qui s’était épanoui avec les bonnes études faites au couvent. Ma
soif de connaissance ne pouvait que m’élever dans l’apprentissage, le dressage,
le repassage et le raffinement. Le roi avait exigé que l’on me formât aux
bonnes manières de la cour et je les ai très vite assimilées pour pouvoir les contrer
plutôt que de les appliquer. Je me suis toujours refusé à croire que Dieu
m’avait laissé naître pour faire de moi un pauvre hébété et, dès mon plus jeune
âge, je m’étais persuadé qu’un mauvais génie avait profité d’une courte
inattention de Dieu pour me déformer en me pétrissant comme une vulgaire pâte à
tourte avant de m’enfourner dans la fange du ventre de ma mère.
    Nago ayant eu la seule intelligence de se mettre aux
oubliettes, il fallait sans tarder écarter l’autre couillon. Je déclarai en mon
for intérieur l’ouverture de la chasse à la Caillette. Cet histrion de bas
étage n’était qu’un fol imbécile qui n’avait pas volé son surnom. Il passait la
plupart de son temps à cailleter sans répit d’une voix aiguë et son babillage
était semblable à celui d’une caille qui caquette sans cesse dans

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