Le bouffon des rois
les vignes.
Il avait un esprit tellement simple qu’il en était dépourvu. Cela lui valait
d’être le souffre-douleur des pages, des laquais et des tournebrocques qui
redoublaient de malveillante ingéniosité pour le tarabuster jour et nuit et
abuser de sa faiblesse. Le pauvre nigaud prenait cela pour une marque
d’intérêt, voire d’affection.
Une nouvelle fois, le hasard dans sa bienveillante fatalité
allait promptement me débarrasser de ce gobe-mouche grotesque.
Les pages n’avaient rien trouvé de mieux que de lui clouer
une oreille contre un pilastre de bois. Caillette restait là, ne disant mot,
sans son caquetage habituel, étant persuadé que sa vie entière se passerait
désormais ainsi. Un des seigneurs de la cour le découvrit dans cette posture
ridicule et ne manqua pas de le déclouer de son pilier en lui demandant qui
avait eu l’idée saugrenue d’une telle farce.
Caillette répondit :
« Que voulez-vous ? Un sot l’a mis là, là l’a mis
un sot !
— Ç’ont esté les pages ? lui demanda-t-on.
— Oui, oui. Ç’ont esté les pages ! répéta-t-il en
son idiotisme.
— Sçaurais-tu connoistre lequel ç’a esté ?
— Oui, oui, je sais bien qui ç’a esté ! »
Le seigneur commanda à son écuyer de réunir tous les pages
et laquais du château en présence du benêt Caillette qui fut ravi de les revoir
et leur fit même des petits signes d’amitié.
« Venez céans, a-ce esté vous ? » interrogea
le seigneur avec un ton ne présageant pas une belle récompense en cas de
réponse affirmative.
« Nenni, mon seigneur, ça n’a pas esté
moi ! » répondit le premier page qui n’était pas un adepte du fouet.
Même question à chacun des vauriens, mêmes menteries
échafaudées. Se tournant vers Caillette, le seigneur désigna la troupe des
fabulateurs et lui demanda :
« En reconnoistres-tu l’un d’eux ?
— Nenni de nenni ! » répondit-il en son
cailletois.
Et le seigneur insista en les lui désignant un par un :
« Esté celui-ci ? »
Et Caillette, telle une litanie, ne fit que répéter
« nenni ».
Au fur et à mesure, on fit sortir les pages. Il n’en resta
plus qu’un qui n’eut garde d’avouer son forfait après tant d’honnêtes camarades
ayant tous démenti leur participation. Il se sauva en ayant dit comme les
autres :
« Nenni, mon seigneur, je n’y estois pas ! »
Caillette, restant seul, ne se souvint même plus qu’on
parlait de son oreille clouée et pensa qu’on allait l’interroger aussi, de
sorte qu’il dit avec un grand sourire niais : « Je n’y estois pas
aussi ! »
Et le voilà qui plante là le seigneur et son écuyer pour
aller retrouver les pages qui l’attendent au coin d’un couloir pour lui coudre
l’autre oreille au premier pilier qui se trouvait là.
Quand on rapporte au roi cette histoire, il s’en amuse un
brin puis demande que Caillette ne reparaisse plus à la cour et qu’on laisse
cette pauvre cervelle délabrée courir les rues où bon lui semble. C’est ainsi
qu’il terminera sa vie, cervelle creuse et traîne-misère, maltraité par les
tire-laine, vivant d’aumônes et de railleries, hantant nuit et jour les rues de
Blois pour finir quelque temps plus tard sur le pavé de Paris, sacré « roy
des innocents » les jours de la fête des fous et de la fête des Conards.
Je ne ressentis aucune pitié de son sort et me consolai même
en me disant que ce simple d’esprit sera le fou chéri de Dieu et un des
premiers accueillis dans le royaume des cieux.
Peu après, mon roi convoque Le Vernoy, s’enquiert de mon
éducation et, encouragé par les éloges de mon précepteur, lui mande
expressément de me donner la charge de distraire ses invités tout au long du
prochain banquet qu’il donne en l’honneur de son épouse la reine Anne.
Pour ma première apparition officielle devant la cour, on
m’avait contraint d’enfiler le costume de bouffon qui avait appartenu à
Caillette ; c’était une souquenille à moitié usée qui sentait fort la
bête, la bêtise et le lait caillé. Pour mon malheur, j’avais un sens olfactif
très développé, hélas ! Aucune odeur nauséabonde n’échappait à mes
délicates narines, cependant la plus insupportable c’était celle de la bêtise
dont se parfumaient la plupart des gens que j’ai pu croiser durant ma longue
vie, à l’exception d’êtres remarquables qui ont fort heureusement enrichi mon
existence et qui,
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