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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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tu le verras, n’ont jamais vraiment disparu des mémoires
durant les siècles suivants.
    Ce costume dont j’étais affublé était jaune et vert,
couleurs désormais réservées aux bouffons de cour. Ces deux couleurs sont
chargées d’histoire. Si elles caractérisaient en mon temps la folie, elles
furent auparavant symbole de déshonneur.
    Le jaune, au Moyen-Âge, était marque de félonie : le
bourreau barbouillait de jaune la maison d’un criminel de lèse-majesté. C’était
aussi le signe de la prostitution. J’avais lu dans un vieux grimoire du
monastère qu’il y a plus de deux cents ans, le concile d’Arles avait décrété
que les juifs devaient porter sur l’estomac une marque ronde de couleur jaune
pour les distinguer des chrétiens. Je crois que récemment dans ton siècle
dernier un dictateur fou avait transformé le rond en étoile dans un même but de
distinction et de destruction. Plus légèrement, je crois savoir aussi que le
jaune célèbre les maris cocus.
    Le vert, lui, était marque de flétrissure : bonnet vert
porté par un banqueroutier mis au pilori ou par un galérien condamné au bagne.
Cette couleur est aussi marque de superstition chez certains comédiens de
théâtre qui croient bêtement que le vert porte malheur alors que ce sont
souvent eux qui font le malheur des auteurs et des spectateurs en jouant leurs
rôles à « l’envers » !
    Quant à moi, j’étais vêtu d’une jaquette cousue par bandes
et passements de serge et de taffetas découpés en fines lanières, moitié de
couleur verte et l’autre de jaune. Mes chausses étaient en harmonie avec le
haut de l’habit, une jambe jaune, une jambe verte. Aux pieds, de larges poulaines
dont le bout retroussé était agrémenté d’un grelot aussi gros qu’une pomme. Ma
tête était coiffée d’un coqueluchon à oreilles d’âne, orné de grelots de plus
petite taille, et je tenais à la main droite une marotte que je m’étais
fabriquée durant mes nuits de veille. C’était une sorte de sceptre surmonté
d’une tête réduite que j’avais sculptée dans le bois à mon image, c’est-à-dire
d’une laideur à faire peur. Dans ma main gauche, une baguette où était
suspendue à son extrémité une vessie de porc gonflée renfermant une poignée de
pois secs.
    Je te laisse à penser que mon entrée dans la salle de
banquet fit grand bruit à tel point que le brouhaha étourdissant des convives
se mua en un silence de stupeur. J’en profitai pour bafouiller aussitôt un
compliment totalement improvisé :
    « Gentes dames et beaux seigneurs, il faisait tellement
froid dans les longs couloirs que je n’ai cessé de grelotter tout le long du
chemin qui me menait vers vous dans ce lieu si spacieux où vous faites libation
et où il fait si chaud grâce aux troncs d’arbres qui se consument dans cette
imposante cheminée. Et malgré cette douce chaleur qui règne parmi nous, vous
constaterez qu’en agitant ma tête d’adonis et mon corps d’athlète, je continue
à grelotter. »
    Les rires fusèrent, suivis d’applaudissements. Je ne
quittais pas des yeux le couple royal : Louis secouait la tête avec un air
souriant d’approbation et la reine Anne étirait légèrement ses lèvres minces
pour figer un rare rictus de politesse réjouie. C’était tout à fait encourageant.
Je ne manquai pas d’enchaîner sur-le-champ avec quelques cabrioles qui
provoquèrent des murmures d’ébahissement.
    Un seigneur qui n’aimait pas que l’on rie à autre chose qu’à
ses grossières plaisanteries de corps de garde osa, sans le consentement royal,
prendre la parole d’une voix forte : « Majesté, vous avez là un
acrobate fort adroit ! Heureusement que les figures qu’il exécute sont
plus plaisantes que la sienne ! »
    Je ne perdis pas une seconde pour rétorquer :
    « Beau seigneur, si vous avez peine à regarder mon
visage, j’en suis contrit au plus haut point. Apprenez que s’il est si laid
c’est pour cacher un bel esprit mais votre visage est tellement beau qu’il ne
peut que dissimuler un esprit fort disgracieux qui fait bien mauvaise figure
devant cette auguste assemblée ! »
    Les éclats de rire instantanés et admiratifs mirent en
grande colère le seigneur qui jeta avec force dans ma direction un lourd hanap
en argent que je réussis à éviter grâce à la célérité d’une roulade avant. En
exécutant cette galipette j’eus le temps d’entrevoir le seigneur mettre la main
à

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