Le bouffon des rois
seconde, c’est que, pendant
tous ses séjours en Italie, François I er , prince accessible à
toutes les idées qui portaient en elles un semblant de force et de gloire, ne
put contempler de près ces grands hommes et ces belles choses sans chercher à
attirer en France les plus grands peintres, sculpteurs, architectes et
écrivains et à les encourager à continuer leurs œuvres : comme ce
Benvenuto Cellini que le roi appelait « mon ami », qui attendit des
jours entiers devant la porte de la duchesse d’Étampes pour être payé plus vite
des sommes promises par François I er et que son trésorier
tardait à régler. Ces manières agaçaient fortement « mon cousin » que
je détendis en lui disant :
« Ce Benvenuto va bientôt se nommer
Malvenuto ! »
Il y avait aussi Andrea del Sarto, della Robia, le Primatice
et le Rosso. François a toujours regretté l’absence de Tiziano Vecellio, le
Titien, qui avait préféré la cour de Charles Quint à la nôtre. Quel
dommage ! Mais comment lui en vouloir ? Mon roi et moi garderons
toujours notre émotion intacte à la vue de son Assomption de la Vierge en l’église des Frari, au cours d’un de nos passages à Venise.
Pour éviter aux deux frères ennemis de se rencontrer et de
risquer une mésentente certaine, voire un affrontement physique tant leur haine
réciproque était farouche, il fut décidé que la paix serait finalement signée
par la mère du roi de France et par la tante de l’empereur. Louise de Savoie et
Marguerite d’Autriche se retrouvèrent donc à Cambrai pour signer ce qu’on
appellera la « paix des Dames », scellant « une paix perpétuelle
qui doit demeurer entre le seigneur empereur et le roi, sans laisser trace de
rancune en leur âme ».
Elle permet enfin le retour des deux fils emprisonnés depuis
quatre ans mais Charles Quint ne consent à leur rendre la liberté qu’en échange
de quatre tonnes d’or qui doivent lui être remises dans les plus brefs délais.
Les deux garçons reviennent en France accompagnés
d’Éléonore, la sœur de l’empereur que François I er épouse un
beau jour de juillet.
Anne, dans ses rêves ambitieux d’arriviste forcenée, s’était
déjà vue reine de France. Sa fureur ne connut pas de bornes et elle ne cessa
d’abreuver le roi de scènes de jalousie épiques. François en profita pour aller
batifoler avec de belles jeunes femmes qui ne lui faisaient que des scènes de
galanterie bien plus agréables. Il est aussi en effervescence de
création ; il fonde le Collège des lecteurs royaux et envisage de créer
une imprimerie royale afin que les ouvrages soient maintenant imprimés en
français et non en latin et, ce qui constitue à présent sa passion principale, il
surveille les travaux d’avancement du château de Chambord qui promet d’être une
pure merveille.
Il nous manquait une belle épidémie pour marquer notre
nouveau siècle déjà entamé d’un bon tiers, voilà que la peste nous envahit,
certainement causée par les charniers de plus en plus nombreux charriés par la
Seine. On avait beau allumer de grands feux dans toutes les rues, la peste
courait aussi vite que les rats qui la propageaient.
François I er avait cloîtré sa cour au
château de Fontainebleau nouvellement construit et interdisait tout contact
avec l’extérieur.
Madame, déjà en bien piteux état de fatigue, quitta Paris en
emportant avec elle le fléau. Sa poitrine était parsemée de taches suspectes
qui étaient la marque fatale de la peste. Elle avait fait atteler en hâte sa
litière pour fuir jusqu’à Romorantin. Mais à trois lieues de Paris, les deux
soldats et le cocher qui l’accompagnaient s’écroulèrent sur le bord d’un fossé,
terrassés par le même mal. Des paysans accoururent et portèrent Madame dans
leur ferme où ils la couchèrent sur des oreillers de plumes. Elle se résigna à
mourir, demanda qu’on aille chercher quelqu’un qui sache écrire pour dicter une
lettre destinée à Sa Majesté le roi. Le curé accourut et se vit interdire
l’entrée de la chambre :
« Tenez-vous dehors derrière la porte et ne m’approchez
pas. Je suis pestiférée. Écrivez ce que je vais vous dire. »
Elle dicta une courte lettre qui résumait en quelques mots
très touchants l’amour immodéré qu’elle avait pour son César, sa résignation
dans la mort et les souhaits pieux et sincères pour que le royaume reste
florissant.
« Ajoutez : et ne veut
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