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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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barbiers
masqués.
    « Madame, votre heure est venue !
    — Ayez pitié de moi, dit-elle en se traînant à ses
pieds, souvenez-vous ! nous nous sommes aimés.
    — Madame, les amours qui commencent par anneaux
finissent toujours par couteaux. »
    Elle se dressa devant lui, sa tête toujours belle aux
cheveux gris maintenant, et fixant son mari dans les yeux, elle tendit ses
poignets aux bourreaux.
    « Faites votre office. »
    Ils s’exécutèrent et l’exécutèrent en même temps. Le sang se
mit à couler à flots des chevilles et des poignets ouverts, elle eut encore la
force de menacer :
    « Le roi me vengera, prenez garde !
    — Madame, répliqua son mari juge et sanguinaire, ce que
je fais ce soir prouve que je ne crains ni Dieu ni diable. Que me fait donc un roi
qui vous a oubliée ? »
    Elle s’affaissa, exsangue. Le comte la regardait mourir sans
sourciller.
    Elle balbutia :
    « Me laisserez-vous trépasser comme une bête ?
    — Comme une chienne, madame, comme une
chienne ! »
    Lors de la mise en bière, Messire Clément y alla de ses
vers :
     
    De grande
beauté, de grâce qui attire,
    De grand savoir,
d’intelligence prompte,
    De biens,
d’honneurs, et plus que ne raconte,
    Dieu éternel
richement l’étoffa.
    Ô viateur, pour
t’abréger ce conte :
    Ci-gît un rien,
là où tout triompha.
     
    Et mon roi versa des larmes sur sa tombe :
    «  Triste pierre qui me cache si beau visage, qui
me rend malheureux et défait. »
    J’étais assez près d’Anne de Pisseleu pour l’entendre
murmurer une bien insolite prière :
    « Dieu, gardez-la bien au ciel ! Amen. »
    Il fallait que j’amuse mon roi dans cette triste cérémonie
et j’égayai sa tristesse en lui glissant :
    « Tranquillisez-vous, « mon cousin », ça ne
diminuera pas le nombre des cocus. »
    Les maris cocus de la cour ne se gênaient pas pour punir
leurs épouses adultères ; ils les mettaient en prison perpétuelle au pain
et à l’eau, enfermées dans une chambre secrète au fin fond de leurs sombres
manoirs ; d’autres empoisonnaient leurs épouses infidèles à petit feu.
    Ces châtiments étaient dans les mœurs du temps et montraient
que sous l’apparence de légèreté, de scepticisme ou de raillerie, les cœurs
restaient farouches avec un sentiment profond de l’honneur conjugal. C’était
plutôt rassurant pour ces dames, non ?
    Toutes ces intrigues d’alcôve m’amusaient et m’émoustillaient
à la fois. Je repensais à ma matrone et me demandais ce qu’elle était devenue
depuis tout ce temps. Je fis envoyer une petite délégation avec mission de lui
venir en aide si besoin était. Mes messagers revinrent quelques jours plus tard
pour me rendre compte qu’il ne l’avait point trouvée et que sa masure au fond
de la forêt était vide et inhabitée apparemment depuis fort longtemps ; en
interrogeant des paysans dans les fermes alentour, certains l’auraient aperçue
partir avec armes et bagages, c’est-à-dire avec ses potions et ses cornues,
pour une destination inconnue.
    Était-elle encore de ce monde ? Si j’apprenais sa mort,
j’en serais bouleversé, tout comme je le fus cet orageux après-midi d’été
lorsque j’entendis en passant près d’un groupe de courtisans :
    «  Machiavel est mort. »
    Ils commentaient cette nouvelle comme un simple fait banal.
Je me surpris à aller m’appuyer derrière un pilier au bout de la grande salle,
le souffle coupé comme si j’avais reçu un violent coup à l’estomac. L’annonce
de sa disparition fait partie de mes grandes douleurs, celles des blessures du
cœur et de l’âme qui ne cicatrisent jamais et qui sont ravivées chaque fois que
la mémoire les évoque.
    L’absence d’un roi n’est pas sans conséquence et
François I er dut rétablir l’autorité monarchique que les
parlementaires avaient bafouée. Il y avait une grande remise en ordre à
effectuer en ce qui concernait les finances du royaume. Le problème venait des
financiers eux-mêmes. Ils prétendaient tous s’être ruinés au service du roi, suppliaient
Sa toute gracieuse et bonne Majesté d’avoir pitié d’eux, de leurs femmes et de
leurs pauvres enfants. Mais leurs coffres secrets regorgeaient d’or, leurs
épouses ruisselaient de bijoux, leurs filles étaient dotées comme des
impératrices et les caisses de l’État étaient pillées. François I er se décida à faire un exemple.
    Jacques de Beaune, seigneur de Semblançay et

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