Le bouffon des rois
guère sinon que ma
bosse me rentre au corps et ressorte devant pour me faire gros ventre comme à
vous ! »
Le comte de Montmorency ne supportait pas que l’on se moque
de sa bedaine qui le précédait d’un bon pied et lui donnait une allure de
tonnelet ambulant. Il me menaça de me faire périr sous la bastonnade. J’allais
aussitôt m’en plaindre à « mon cousin » :
« Ne crains rien, me rassura-t-il, s’il ose te faire
subir pareil traitement, je le ferai pendre dans le quart d’heure qui suit.
— Ah ! cousin, grand merci, mais je préférerais
que vous le fassiez pendre dans le quart d’heure qui précède ! »
J’ai fort heureusement aussi des amis et surtout un tout
nouvel arrivant à la cour : François Rabelais. Cet ancien moine qui a pratiqué
la médecine est maintenant un écrivain qui nous livre une littérature propre à
déclencher l’hilarité et la bonne humeur mais surtout qui s’adresse aussi bien
au peuple qu’aux nobles.
« Voyant le deuil qui nous mine et nous consume, mieux
vaut écrire du rire que des larmes », dit-il.
C’est lui qui, le premier, m’a surnommé morosophe (transcription
du grec qui signifie : sage-fou) parce que je prononce, selon lui, des
paroles insensées et que je me comporte comme un fou tout en passant pour un
sage. Je suis un fou, certes, mais un grand fou, fou superlatif, parangon de la
folie, un sot en degré souverain, complètement fol, proprement et totalement
fol, c’est ainsi qu’il me décrivait quand nous nous rencontrions pour deviser
de longues heures en partageant une « dive bouteille » de vin de
Loire qu’il affectionnait particulièrement. Tu sais que je n’ai jamais bu de
vin, mais avec l’ami Rabelais, j’apprenais à boire avec modération certes, mais
surtout à boire de l’excellent vin de la bonne treille. J’avais trop le
souvenir de l’ivrognerie grossière de mon père, pilier de cabaret, courant en
manière de batifoleries de taverne en taverne et d’estaminet en coupe-gorge,
pour éviter ces saouleries vulgaires que beaucoup de courtisans pratiquaient
aussi.
Boire avec Rabelais, c’était comme une messe dédiée au Dieu
Bacchus :
« Service divin
Service du vin
Seigneur Dieu, donnez-nous notre vin quotidien »,
devint ma seule prière quotidienne.
Dans le Tiers Livre, deux de ses personnages,
Pantagruel et Panurge, parlent de moi nommément :
« Triboulet me semble complètement fol.
— Proprement et totalement fol. »
Il m’a affublé ensuite de plus de deux cents épithètes. Je
ne résiste pas à la joie de t’en livrer quelques-unes :
« Fol fatal, de gamme majeure, de nature, de bécarre
et de bémol, céleste, jovial, joli et folichon, à pomponnettes, excentrique, héroïque, génial, original, papal, impérial, royal, loyal, seigneurial,
total, triomphant, favori, redouté, transcendant, souverain,
supercoquelicantieux (supercocorico !), célèbre, précieux,
fantastique… »
C’est moi tout craché ! Je suis pour lui « la
fine cresme de desraison ». Il termine le chapitre qui m’est consacré
par cette phrase :
« Si on avait raison jadis de nommer à Rome
Quirinales la fête des fous, on pourrait à bon droit instituer en France les
Tribouletinales. »
C’est lui qui m’a vraiment compris. Il détestait ce qui lui
apparaissait bas et malfaisant et il aimait la sincérité dans le rire. J’ai
passé avec lui les heures les plus heureuses et les plus enrichissantes de
cette période troublée.
Ah ! François ! Mon ami François !
Décidément, c’est un prénom qui me sied à merveille. Il avait sur son visage le
sourire constant d’une véritable bonne humeur, élégant, délicat, d’une humilité
non feinte et d’une finesse qui était bien loin de la grossièreté et de la
paillardise dont on l’a accusé à tort.
Par l’avis, conseil, prédiction de fous, vous savez
quantes princes, rois et républiques ont été conservés, quantes batailles gagnées,
quantes perplexités résolues.
Il n’y a rien à ajouter.
La paix est enfin signée entre François I er et Charles Quint qui consent à laisser la Bourgogne à la France seulement si le
roi de France renonce à l’Italie. Mais l’Italie, on l’avait chez nous depuis
fort longtemps.
La défaite de François I er à Pavie eut deux
heureuses conséquences.
La première fut d’avoir mis fin à ces guerres des Français
en Italie qui duraient depuis Charles VIII. La
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