Le bouffon des rois
Elle allait vite comprendre
que son royal époux, en fin stratège de l’instrument politique, allait lui
faire payer cher son semblant de victoire.
Mon roi fut un des premiers gouvernants à se servir de
l’opinion en la manipulant adroitement. Il chargea des agents à sa solde de
répandre la rumeur du mariage de la fille du roi de France à un
Autrichien-Flamand-Espagnol alors qu’il serait tellement mieux pour elle et
pour le royaume qu’elle épousât François de Valois.
Devant l’ampleur suscitée par ce mouvement populaire, il n’y
avait plus qu’une solution : réunir une assemblée consultative composée
des députés de la nation. Un an jour pour jour après la « résurrection de
notre souverain », c’est au château de Plessis-lès-Tours, où toute la cour
s’était déplacée, que va se dérouler, le 10 mai 1506, ce qui peut
ressembler à des états généraux.
Le roi, vif de corps et de figure, siégeant sur son trône,
la reine à ses côtés, tous deux entourés par le jeune François de Valois et par
le cardinal d’Amboise, en présence des principaux prélats, des princes de sang
et des grands seigneurs, y compris les barons bretons, reçut l’importante
délégation constituée des deux représentants de chaque ville du royaume parmi
les nobles et les bourgeois. Ils avaient choisi comme orateur un théologien de
grand renom qui n’était rien moins que le chanoine de Notre-Dame de Paris,
Thomas Brico. Plus habitué à dispenser des remontrances que des compliments, il
commença néanmoins son discours par un éloge fort appuyé qui n’était autre que
le panégyrique du roi et des bienfaits prodigués à son peuple : la
tranquillité intérieure du royaume, la diminution de la taille, le respect des
personnes et des biens, la réduction des dépenses de la cour et la réforme de
la justice. Le chanoine ne manqua pas de clore son apologie par une phrase qui
allait faire mouche :
« Pour ces causes et autres qui seraient trop
longues à citer, nous devons appeler le Roi Louis douzième : Père du
peuple. » Les acclamations à n’en plus finir et les ovations aussi
tonitruantes qu’elles étaient sincères suscitèrent une émotion partagée par
toute l’assistance.
Au travers de mes yeux embués, je vis que mon souverain
lui-même ne pouvait retenir ses larmes. Thomas Brico enchaîna avec peine la
seconde partie de son discours :
« Sire, nous sommes ici venus sous votre bon plaisir
pour vous faire une requête pour le bien général de votre royaume, qui est
telle que vos très humbles sujets vous supplient qu’il vous plaise de donner
Madame Claude de France, votre fille unique, en mariage à Monsieur François,
duc de Valois, ici présent, qui est tout françois. »
Louis laissa se prolonger le silence soudain qui gagna
l’assistance et prit la parole en s’éclaircissant difficilement la gorge tant
l’émotion l’étreignait.
Il remercia pour les bonnes paroles et, ne répugnant pas à
mentir ouvertement, osa déclarer :
« qu’au regard de la requête touchant ledit mariage,
il n’en avait jamais ouï parler mais que de cette matière il communiquerait
avec les princes de son sang pour en avoir leur avis ».
Moins d’une semaine plus tard, il fit annoncer par son
chancelier qu’il acceptait la requête dans un discours fleurant bon le
mensonge, l’humilité et la démagogie la plus totale dont le dernier paragraphe
aurait mérité l’accompagnement des violes larmoyantes de Josquin des
Prés :
« … et pour ce que nous sommes tous mortels et qu’il
n’y a plus chose certaine que la mort, ny plus certaine que l’heure d’icelle,
le roy, notre souverain seigneur, veut que si le cas advenait qu’il allast de
vie à trépas, sans avoir lignée masculine, que vous promettiez et juriez, et
faictes promettre et jurer par les habitants des cités et des villes dont vous
estes envoyez, selon la forme qui vous sera baillée par escrit, de faire accomplir
et consommer ledit mariage, et obeyrez et tiendrez, le dict cas advenant,
mordit sieur de Valois vostre vray roy, prince et souverain seigneur, et que,
de tout ce, envoyerez vos lettres et scellés de chascune cité et
ville en dedans la feste de la Magdeleine prochain venant ; combien que le
roy, avec l’ayde de Dieu, a bon espoir de vivre qu’il fera consommer le dict
mariage et verra les enfans de ses enfans. »
Vive le Roy !
Gloire à Notre Père du peuple !
Que Dieu lui
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