Le bouffon des rois
accorde santé et prospérité !
Après son règne, « luy doint Dieu le royaume de
Paradis » !
Au milieu de ce délire, on jure sur les Saints Évangiles et
comme si cela n’était pas prévu de longue date, on fixe les fiançailles au
surlendemain, le 21 mai. Claude a six ans et demi, son fiancé, le beau
François, est dans sa douzième année.
Absent des réunions qui ont précédé l’acceptation de la
requête, je connaissais trop bien mon roi et ses conseillers pour savoir qu’ils
avaient tout établi d’avance. Le traité de Blois était effacé comme s’il n’avait
jamais été signé et Louis le douzième renforçait son autorité suprême en
maintenant une tradition de la succession capétienne par ordre de progéniture,
sauvegardant ainsi son royaume de tout risque de morcellement.
L’impassibilité de la reine Anne figurait bien sa totale
désapprobation et si elle avait renoncé à ses fameuses scènes, elle ne pouvait
s’empêcher de répéter qu’elle était « moult déplaisante de ce qui se
faisoit » et rappelait sa devise : « Non mudera. »
Quelle splendide fête fut donnée dans cet agréable château
de Plessis-lès-Tours ! Encore une preuve que tout ce rassemblement qu’on
disait sans aucune préparation n’était qu’une mise en scène parfaitement
orchestrée.
Tu penses bien que de telles agapes ne s’improvisent pas en
deux jours ! On mangea à s’en faire péter la sous-ventrière, on dansa
jusqu’à perdre haleine, on s’amusa jusqu’à ne plus pouvoir s’en tenir les côtes
et je fus le premier responsable des plus grands éclats de rire en me taillant
un succès retentissant dans mes tours les plus spectaculaires et dans mes
reparties les plus spirituelles qui faisaient mouche en rafale.
Je retrouvais ma verve et mon invention qui s’étaient
grandement étiolées à la suite de tous les événements tragiques de ces trois
dernières années et je fus moi-même rassuré d’être encore opérationnel
et – n’ayons pas peur des mots – au plus haut sommet de ma sagacité.
Louise de Savoie rayonnait de bonheur dans une robe écarlate
qui mettait en valeur le noir corbeau de sa chevelure et le vert émeraude de
ses yeux.
Je compris pourquoi Pierre de Gié avait poussé son
insistance à obtenir ses faveurs jusqu’aux frontières du harcèlement. Mais elle
ne quittait pas d’un regard courroucé son François qui papillonnait au milieu
d’un parterre de femmes qui caressaient ce « beau grand garçon ».
Elle envoya sa fille Marguerite, la sœur aînée de François, jolie jeune fille
qui paraissait bien plus que ses treize ans, pour faire cesser ces badinages
qui risquaient de désunir l’harmonie adorative d’une mère et d’une sœur pour
leur « César d’amour ».
Cette foison de femelles aux charmes enfin dévoilés nous
changeait de l’austérité habituelle de la reine obligeant les demoiselles de sa
suite à des tenues tellement incolores qu’elles effaçaient leurs séduisants
attraits. Ces robes aux couleurs chatoyantes, ces coiffes brodées d’or, ces
lèvres vermeilles, ces gorges apparentes et ces minauderies à nouveau tolérées
me mirent le corps en émoi et je me dis qu’il était grand-temps que j’aille
faire mon « pèlerinage annuel auprès de ma sainte matrone Rosa
Caron ». L’excitation me troublait si fort que je songeai même à augmenter
la fréquence de mes visites mais je savais que cette pensée s’évanouirait dès
que j’aurais « œuvré ».
Il y avait longtemps que la cour ne s’était pas mise en joie
de cette belle manière mais nous étions tous conscients que cela ne durerait
pas.
En effet, les guerres d’Italie reprirent de plus belle et on
retrouva notre roi guerrier aussi fort et vigoureux que dans sa jeunesse. Louis XII
s’empara de Gênes et exigea que l’on fêtât son triomphe dans toutes les grandes
villes du royaume. C’était une liesse populaire très différente des festivités
de la cour. Tout d’abord, dès son retour à Lyon, ce fut l’accueil victorieux
des troupes, Louis XII en tête, immortalisé dans un magnifique tableau de
Jean Perréal et glorifié par l’ouvrage de Jean Marot qui, comme à son habitude,
raconte les exploits du roi à Gênes sans y avoir mis les pieds.
Dans sa précipitation à partir pour la guerre, mon roi
m’avait pour ainsi dire oublié en route et c’était tant mieux. Durant toute sa
campagne d’Italie, je ne
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