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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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France, si Dieu le veut, Triboulet sera mon bouffon. » Lorsque
j’entendais une phrase comme celle-ci, je devenais le croyant le plus fervent
de la religion catholique et me précipitant hors du château toutes affaires
cessantes, je distribuais à profusion des aumônes à tous les mendiants qui
jonchaient le parvis de l’église avant d’y pénétrer, de me jeter à genoux à me
faire éclater les rotules et de demander à Dieu et à la Vierge Marie de me
laisser vivre assez longtemps pour « bouffonner mon cousin ».
    Pour fêter encore sa belle victoire de Gênes, le
28 septembre 1508, Louis XII avait choisi la ville de Rouen pour
faire une dernière entrée solennelle. L’usage voulait que l’on m’envoyât en
avant pour annoncer l’arrivée de la cour. D’habitude, j’étais dans une carriole
tirée par un âne que conduisait un voiturier. Ce jour-là mon roi avait décidé
que je partirais annoncer sa venue sur un beau destrier caparaçonné à ses
couleurs. Si je pense sincèrement que je ne suis pas un mauvais cheval, cela ne
m’empêchera jamais d’être persuadé que je suis un piètre cavalier.
    Me suis-je pris pour le roi ce jour-là ? Me suis-je
senti prêt à troquer mon royaume pour un cheval ? Quelle mouche m’avait
piqué ? Tout gonflé d’orgueil et brandissant ma marotte des bonnes grandes
fêtes, je me mis aussi à piquer vigoureusement mon cheval, lequel, évidemment,
m’emporta au grand galop. Les chambellans et autres valets de chambre avaient
beau s’égosiller :
    « Arrête-toi, malheureux, arrête ! Si on
t’attrape, nous te ferons voir de quel bois nous nous chauffons ! »
    Tu penses bien que leurs menaces, au lieu de me freiner, me
donnaient des ailes. J’en donnais aussi au cheval qui devait se prendre pour
Pégase tant je l’éperonnais de toutes mes forces tandis que les autres
couraient derrière nous affolés en me houspillant de plus belle :
    « Tu n’arrêteras donc pas ? Arrête,
ventredieu ! »
    Hors d’haleine comme mon coursier et caracolant toujours, je
leur criais en riant comme un bossu :
    « Par le sang Dieu, maudite bête ! J’ai beau le
piquer tant que je peux, il ne veut pas s’arrêter ! »
    Heureusement, arrivé sur la grand-place, deux lansquenets se
jetèrent au-devant de ma monture, la stoppèrent net, évitèrent ainsi que je ne
fasse une mauvaise chute qui m’aurait peut-être plus bistourné que je ne
l’étais déjà.
    On rapporta cet épisode au roi qui s’amusa beaucoup et
voulut faire partager son hilarité avec « sa Brette » qui réagissait
inévitablement en levant les yeux au ciel et en gratifiant son cher Louis d’un
regard d’une méprisante condescendance qui signifiait clairement :
    « Comment puis-je être amoureuse d’un homme si niais
qui ne s’amuse qu’aux singeries d’un vulgaire histrion ? »
    Le soir même, dans une des salles du château de Bouvreuil [2] , elle s’amusait néanmoins d’une pièce
de théâtre assez leste représentée par une troupe mandée tout exprès de Paris.
En toute franchise, mes « singeries » étaient cent fois plus drôles
et moins vulgaires que cette bluette mais elle avait l’avantage d’être le fruit
issu des ineffables cerveaux de ses protégés André de La Vigne, Jean Marot,
Faustus Andrelin et Jean Lemaire de Belges qui lui avaient flatteusement dédié
ce qu’ils avaient pompeusement intitulé : Le Roman de Jehan de Paris. Leur
absence de talent exigeait bien qu’ils fussent quatre pour pondre d’aussi
insipides dialogues entre une puce lie et son roi Jehan qui firent se tordre de
rire ces seigneurs et dames tant les allusions au couple royal étaient
appuyées :
     
    LA PUCELLE  : Sire,
vous avez amené une moult belle armée, la mieulx en point que jamais l’on vit
en ces contrées.
    JEHAN : Ma mye, je l’ai fait pour l’amour de vous !
    LA PUCELLE  : Et
comment pour l’amour de moy ?
    JEHAN : J’ay
ouy dire que l’on vous devoit combattre demain, et pour ce que je vous viens
offrir si vous avez point à faire de mes gens d’armes, qui ont de bonnes
lances et roiddes.
    LA PUCELLE  : Sire,
je vous merde de vostre offre, car il n’y fault pas si grande assemblée.
    JEHAN : Il est
vray, car ce sera corps à corps en champ de bataille estroit.
     
    À la fin, le roi « à la lance roidde va se coucher
avec la pucelle et grant joye s’entrefirent les deux amants »…
    Voilà ce qui contentait « dame reine Anne ».

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