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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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son frère
Charles VIII pour me faire libérer. Tu penses bien que je ne suis pas
resté chaste durant trois années. Il fallait bien que je me soulageasse. Comme
Jeanne fut ma seule visiteuse, même gâtée du corps, je l’ai fort connue, n’ayant
pas d’autre possibilité.
    « Et cependant, j’ai tout mis en œuvre pour obtenir
l’annulation de ce mariage. Au cours du procès, elle se montra digne,
courageuse, réservée. Sans s’irriter, sans se plaindre, sans prononcer un seul
mot qui m’infligeât un brutal démenti, elle laissa toujours entendre que je
l’avais traitée en épouse. Les juges ordonnèrent qu’elle fût visitée par des
matrones qui diraient si, oui ou non, elle était encore vierge. Jeanne se
refusa à ce contrôle humiliant et j’entends encore ses paroles qui résonnent
dans ma tête comme le tocsin de la honte : “ Je ne veux d’autre juge que
le roi mon seigneur. S’il affirme par serment que ses imputations sont
véritables, j’accepte par avance ma condamnation.” Et j’ai juré ou plutôt
je me suis parjuré. J’ai méprisé une femme qui n’avait éprouvé pour moi que
respect, tendresse et dévouement. J’ai souillé son amour pour satisfaire celui
que j’éprouvais pour Anne quand j’étais Monsieur d’Orléans : ma Brette que
je n’ai jamais cessé d’aimer et que j’aime de plus en plus fort ; on ne
peut se défaire d’un grand feu quand il a une fois saisi l’âme. Ce n’est en
aucun cas une excuse pour mes mensonges et ma lâcheté et ce remords qui ne
cesse de me hanter est une punition méritée, certes, mais bien lourde à porter.
Il fallait que je partage ce fardeau, que je soulage ma conscience et de tous
ceux qui m’entourent, tu es le seul en qui je peux avoir confiance. Tu n’as pas
besoin de briguer un quelconque pouvoir puisque je t’ai permis de les posséder
tous. Tu es même plus puissant que moi : tu as le pouvoir de faire rire.
Si elle n’était pas dessinée sur ton corps, j’ai vu la droiture au fond de ton
regard la première fois que tu m’es apparu au monastère. La laideur de ta
présence m’oblige à surmonter mes erreurs passées. Tu m’es
indispensable. »
    Il est des moments dans une vie que l’on voudrait prolonger
à l’infini, des moments de grâce, des moments où la moindre respiration, le
plus petit geste sont ancrés au plus profond de soi. Je ne m’étais pas rendu
compte que mon roi s’était laissé tomber sans bruit sur le côté pour s’endormir
paisiblement. Je me relevai en prenant bien garde de ne pas faire craquer mes
os et, soulevant avec précaution ses jambes, je l’étendis plus confortablement
et le recouvris d’une épaisse fourrure. Je gagnai mon coin près de la fenêtre
sur la pointe des pieds et je m’étendis à mon tour, me frayant une place entre
les deux chiens qui ne soulevèrent pas même une paupière. Je me souviens être
resté le regard fixé sur mon roi endormi, à jamais reconnaissant de m’avoir
permis durant une heure de ma vie d’être Le Févrial, un simple être humain et
certainement pas Triboulet, son bouffon.

 
Chapitre sixième
    Quelle drôle d’année que cette année 1505 ! Elle allait
pourtant donner le ton aux dix suivantes. Anne, voulant toujours affirmer sa
volonté et refusant de perdre la face pour le procès de Gié, obtint de Louis
qu’il dessaisisse le Grand Conseil dont l’indulgence l’avait offensée
personnellement. Les cris et les larmes étaient toujours les armes les plus
efficaces pour faire céder le roi. Il accepta donc de porter l’affaire devant
le Parlement de Toulouse. Anne avait choisi cette juridiction qui lui
paraissait plus malléable pour faire condamner le maréchal. Elle ne ménagea ni
les présents ni son argent pour tenter de circonvenir les magistrats qui, tout
en acceptant d’être corrompus, n’en raisonnèrent pas moins à l’instar du Grand
Conseil et, en diplomates expérimentés, demandèrent un long délai avant de
pouvoir se prononcer.
    Après avoir joyeusement fêté Pâques avec sa femme et sa
fille, encore bouleversé par la disparition de Jeanne de France et par les
nouvelles catastrophiques venues de Naples qu’il espérait bien reprendre, notre
roi fit une soudaine rechute.
    Il tomba si gravement malade qu’on le crut aux portes de la
mort. Il restait de longues heures prostré, sans forces, puis se dressait
soudain, hurlant, se débattant contre des adversaires imaginaires, appelant sa
reine, sa

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