Le bouffon des rois
quittais pas « mon cousin » et j’assistais à
son éducation, confiée à Artus Gouffier, seigneur de Boisy, son nouveau
gouverneur après la disgrâce de Pierre de Gié. François était entouré de quatre
fils de nobles qui profitaient également de son éducation et partageaient ses
passions et ses loisirs.
Les liens d’amitié qui les unissaient étaient très forts et
ils resteront proches du futur roi François I er qui les fera
accéder aux plus grandes charges du royaume.
Pour l’instant, ils rêvaient tous de s’illustrer sur les
champs de bataille à l’exemple de leur roi Louis et des grands capitaines et
chevaliers dont ils se répétaient les noms : Jacques de Nemours, Georges
de La Trémoille, Gaston de Foix, La Palice et, bien sûr, le chevalier Bayard.
Ils rageaient de ne pouvoir participer aux expéditions et se défoulaient comme
de jeunes loups en furie lors de l’apprentissage du maniement des armes.
La préparation au métier de roi n’était pas vraiment une
partie de plaisir, comme tu vas t’en rendre compte :
Dès le lever, pendant que « mon cousin » prenait
des forces en avalant un déjeuner fort plantureux, on lui lisait des histoires
relatant les prouesses passées des grands chevaliers. Après commençaient les
leçons de géométrie, d’astronomie et de musique. Ensuite il « s’esbaudisssait
à chanter musicalement », ce qu’on appelait « plaisir de
gorge ». On lui enseignait le luth, l’espinette, la harpe et la flûte.
Vers le midi, tout en mangeant un repas frugal, il révisait les leçons
matinales. Suivaient des pages d’écriture en lettres romaines. Ensuite, il
changeait de vêtements pour aller monter un coursier et galoper durant une
heure ou deux pour s’arrêter au bord d’un lac ou d’une rivière et nager en eau
profonde par n’importe quel temps et quelle que fût la température ; quand
il sortait de l’eau, il grimpait aux arbres aussi lestement qu’un chat. Frotté,
nettoyé et rafraîchi, il s’en revenait au château en observant arbres et
plantes et en se récitant les écrits des anciens. Il rentrait souper et pendant
qu’il dévorait de bon appétit entouré de ses condisciples, je les faisais
s’esclaffer en imitant quelques figures les plus représentatives de la cour.
Puis, avant le coucher, on priait Dieu, en lui rendant grâce de ses bienfaits,
en particulier celui d’avoir la santé du corps et de l’esprit : « Mens sana in corpore sano. »
Parfois, les nuits de pleine lune, on réveillait François et
ses camarades pour les emmener sur les remparts du château voir la face du ciel
et noter les aspects et les conjonctions des astres. On les laissait enfin
dormir quelques heures et récupérer d’une journée bien remplie.
Mon roi se plaisait à dire qu’un royaume ne se confie pas à
un jeune cousin inexpérimenté et il insistait pour que l’éducation du jeune
François fût intensive et sans relâche.
Ce jeune garçon était déjà un rude gaillard infatigable et
ne donnait pas l’impression d’avoir été un enfant retenu dans les jupons de sa
mère et de sa sœur. Cette atmosphère féminine ne lui avait pas ôté la moindre
virilité mais, au contraire, le poussait à rechercher la compagnie des femmes
qui le trouvaient charmant et sentaient bien, en fines mouches qu’elles étaient
toutes, qu’il serait un « bien bel amant-roi ». François me parlait
si souvent des charmes et des attraits de la beauté féminine que je n’avais pas
besoin d’être devin pour savoir que « mon cousin » ne serait jamais
l’homme d’une seule femme, encore moins de la petite Claude.
Notre intimité finissait par déranger, si j’en juge par
l’agacement de ses condisciples qui, parfois, ne manquaient pas de me
titiller :
« Tu ferais mieux de prendre pour compagnon un des
singes des montreurs de foire ! lançait un des jeunes compagnons de
François, en me désignant du coin de l’œil.
— Réponds-lui donc, « mon
cousin » ! » me pressait le jeune duc, passablement énervé que
l’on me brocarde, même gentiment.
« Mon cousin », je prends sa comparaison pour un
compliment. Je lui répondrai qu’avec son grand savoir, il ne doit sûrement pas
ignorer que l’on a toujours prêté à la gent simiesque de grandes marques
d’intelligence. Je ne m’étonne donc point qu’il ne fasse pas partie de ma
famille !
— Mes amis, vous comprenez pourquoi, lorsque je serai
roi de
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