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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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protectrice des arts dans une de
ses flagorneuses « odes-guimauves », pour faire partie du voyage et
remplir entièrement sa charge d’historiographe-correspondant de guerre en étant
cette fois-ci au cœur même des combats. Dès qu’ils furent engagés, je fus à tel
point effrayé par l’artillerie que je me cachai sous un lit où l’on vint me
dénicher avec peine une fois la bataille achevée.
    Je l’avoue, je suis un froussard dans l’âme, les détonations
des canons et les roulements des tambours me glacent les sangs. Dès que
j’entends une pétarade, je suis à tel point affolé que je perds tout jugement
et je n’ai plus qu’une issue : me terrer comme un animal jusqu’à ce que
tout soit fini.
    Ce que je fis ! Et ce qui n’échappa pas à cet imbécile
de Jean Marot, trop content d’avoir enfin l’occasion de me ridiculiser, en
écrivant :
     
    Triboulet, fol
du roi, ayant le bruit, l’horreur,
    Courait parmi la
chambre en su grande frayeur
    Que sous un lit
de camp, de peur, s’est retiré
    Et croy
qu’encore y fut, qui ne l’en eut tiré
    Qu’est de
merveilles pour si sages craignant coups
    Qui font telles
tremeurs aux innocents et foulx.
     
    Marot, que je n’arrêtais pas de traiter de
« maraud » devant toute la cour, trouvait là une « bien belle
basse » vengeance avec ses vers de mirliton. Il n’en était pas à sa
première attaque. Il se plaisait à réciter à qui voulait l’entendre un portrait
de moi grossièrement brossé et guère flatteur prétendant que j’étais un pauvre
hère tout juste capable de dire d’énormes sottises, que mon cerveau était fêlé,
totalement dépourvu d’idées sérieuses et raisonnables et que je ne fâchais
aucun de ceux que je contrefaisais. Il n’omettait pas au passage de décrire mes
caractéristiques physiques en appuyant perfidement sur ma difformité. Je te
livre ses six vers dans leur version originale :
     
    Triboulet fut un
fol, de la tête escorné,
    Aussi saige à
trente ans que le jour qu’il fut né,
    Petit front et
gros yeux, nez grand, taillé à voste
    Estomac plat et
long, hault dos à porter hoste.
    Chacun contrefaisait,
chanta, dansa, prescha,
    Et du tout si
plaisant qu’onc homme ne fascha.
     
    Tu l’as bien compris, ce maraud de Marot ne m’aimait pas
beaucoup et je le lui rendais bien. Cependant, le monde entier peut lui être reconnaissant
d’une action d’éclat dont il est l’auteur, du moins je le présume : il a
été le géniteur de son fils Clément qui, lui, était un véritable poète doté
d’un immense talent. Eh oui ! Parfois les chiens de gouttière font des
chats de race ! Ce pauvre Jean est bien le père du célèbre Clément Marot
dont j’aurai l’occasion de te reparler dans mon second règne de bouffon. Je
l’ai toujours appelé messire Clément, ayant pour lui tout le respect que je
n’ai jamais eu pour son père. Toutes ces critiques, qui ne pensaient qu’à me
rabaisser, qu’à m’ôter toute valeur, sont tellement loin de la vérité qu’elles
ont retenu l’attention de quelques historiens de qualité lesquels m’ont
réhabilité en écartant les soupçons d’idiotie, d’hébétude ou de simplicité d’esprit
dont on m’a affublé trop souvent.
    Toi aussi, tu as dû connaître la critique et sûrement en
souffrir au moins un temps ; mais c’est le genre de blessure qui cicatrise
vite dès que l’on se rend compte du peu d’intérêt que représentent ces gens nés
pour détruire, incapables de construire et inaptes à la création. On est bien
heureux de savoir que, finalement, chacun est à sa place et qu’elle ne peut
être interchangeable. Ces écrivaillons m’ont méchamment égratigné avec un
constant acharnement, et alors ? Qui reste dans l’Histoire ? Pour
eux, le pire, c’est qu’en croyant m’anéantir, ils ont contribué à ma renommée.
    Cette même année, je venais de fêter mes trente ans et je
n’ai pas résisté à m’offrir un curieux présent : mon épitaphe. En étant
l’unique auteur, j’évitais d’être la victime posthume d’un quelconque
« Marot d’heure » (maraudeur pour ceux qui ont l’esprit trop bien
tourné !). J’espérais bien entendu qu’on la graverait le plus tard
possible sur ma pierre tombale et j’étais assez fier de ma clairvoyance qui
montrait le parfait reflet de moi-même :
     
    Triboulet
suis, qu’on peut juger en face
    N’avoir esté
des plus sages qu’on face.
    Honneste

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