Le bouffon des rois
solidarité, le travail sur la matière, la soif
d’apprendre et de savoir et une plus grande connaissance des uns et des autres
dans leur différence de pensées. Ces fratries se réunissaient régulièrement et
échangeaient leurs idées pour la réalisation d’ambitieux projets. L’ambition,
vertu longtemps réservée aux nobles, s’étendait maintenant à toutes les couches
de la population qui voulaient démontrer que la véritable noblesse n’est pas
l’apanage des grands seigneurs.
Louise de Savoie, qu’on avait éloignée de la cour et qui se
morfondait dans sa résidence de Cognac, se faisait donner un rapport
hebdomadaire et détaillé des progrès de l’éducation de son fils chéri mais elle
voulait surtout être informée des moindres avancées de la grossesse de
« sa chère sœur Anne ». Et elle ne voyait rien venir jusqu’à ce jour
du mois d’octobre où la reine donna naissance à une nouvelle fille, Renée.
Louise se
sert de “sa voix”
Pour hurler
sa grande joie
Apprenant que
par deux fois
Anne met bas
fille de roi.
J’étais une fois de plus satisfait de ce quatrain qui
remportait un immense succès dans les cuisines du château et qui, fort
heureusement, n’eut jamais d’écho auprès des appartements royaux.
La reine, déjà désespérée de ne pouvoir donner un héritier
au trône, quelques heures après la naissance de sa seconde fille, apprit la
mort de Georges d’Amboise, ce qui la plongea dans un immense chagrin que son
mari ne partagea absolument pas.
J’attendais le retour de mon roi au relais de chasse quand
je vis arriver le secrétaire du cardinal qui cherchait Sa Majesté pour lui
annoncer « une bien triste nouvelle » :
« Mon maître, Monseigneur Georges d’Amboise vient de
rendre son âme à Dieu. »
« Il a dû ne pas savoir qu’en faire ! » fut
la rapide pensée que je me gardais bien de livrer, préférant afficher
hypocritement une figure de circonstance, tout en lui indiquant :
« Le roi chasse. Si le cœur t’en dit d’aller le retrouver pour lui
annoncer la b… la triste nouvelle, il est parti il y a une bonne heure dans la
direction de Molineuf. »
Après deux heures de marche, il réussit à rejoindre la
chasse pour livrer sa triste nouvelle qui ne parut pas émouvoir le roi puisque
ce dernier, sans un mot de condoléances, éperonna son cheval pour continuer sa
partie de chasse.
Je regrette d’apprendre que Machiavel est à Lyon pendant que
nous sommes allés passer quelques jours à Amboise, mais il me fait porter un
pli où je reconnais son exquise délicatesse dans un style très pur qui
n’appartient qu’à lui ; il m’avertit de sa tristesse de n’avoir pu me
rencontrer avant son départ pour l’Italie et m’assure de son retour en France
l’année suivante. Quand on a le privilège de faire partie des personnes à qui
Machiavel porte un certain intérêt, tu penses bien que le mépris et la
méchanceté de ceux qui ne lui arrivent pas au bas de son talon sont choses bien
futiles et ne méritent qu’indifférence.
L’espoir de paix avec l’Italie n’était qu’un doux leurre qui
s’évapora avec la haine grandissante de Jules II pour les Français qu’il
n’hésitait pas à traiter de barbares. Il fit savoir urbi et orbi que si
Louis XII ne retirait pas ses troupes de l’État pontifical, il serait
considéré non seulement comme son ennemi personnel mais aussi de la Foi. Louis,
pour toute réponse, le traita d’antéchrist, ce qui mit la reine Anne dans tous
ses états. Elle voyait déjà son mari damné et, avec lui, tous ceux qui
participaient à cette guerre impie.
Cela eut pour effet de renforcer sa ferveur religieuse car,
dorénavant, elle passait ses jours en prières et avait donné l’ordre à toutes
les églises du royaume d’élever leurs supplications vers le ciel pour que le
roi mette fin à cette guerre-sacrilège.
Jules II forme la Sainte Ligue des princes italiens
bientôt rejoints par l’Aragon, les cantons suisses et l’Angleterre. Louis est
largement dépassé par ce pape, ces rois et ces princes passés maîtres dans
l’art de la politique tortueuse et il ne peut leur opposer qu’une brutalité qui
répond parfaitement à celle de Jules II. Sur qui compter ? De qui se
méfier ? Il se sent trahi de toutes parts et n’a plus le temps de
réfléchir ; il lui faut combattre sans perdre un instant et c’est la
guerre horrible où l’on ne fait pas de
Weitere Kostenlose Bücher