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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Francis Perrin
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dit :
    « Rien de ce qui résulte du progrès humain ne s’obtient
avec l’assentiment de tous, et ceux qui aperçoivent la lumière avant les autres
sont condamnés à la poursuivre en dépit des autres. »
    Un courtisan m’avait croisé dans le parc du château lorsque
je conversais avec Machiavel et le soir, au beau milieu du banquet, les
nombreuses coupes de vin ayant fait leur office, il se mit à m’apostropher avec
hargne :
    « Je t’ai vu cet après-midi avec il signore
Machiavelli. Comment un homme tel que lui peut-il converser avec un âne et
encore un âne qu’on ne peut même pas bâter tant il est bossu comme un
chameau ? »

Les rires complaisants qui suivirent ces insultes se
dissipèrent très vite pour laisser place à un silence interrogatif. Quelle allait
être ma réponse ? Le roi me regardait avec insistance et encouragement,
semblant me dire :
    « J’espère que tu vas lui clouer le bec mais j’espère
surtout que tu vas me faire rire. »
    Je n’eus pas besoin de tourner sept fois ma langue dans ma
bouche, la riposte avait déjà fait cent fois le tour de mon cerveau :
    « Un âne ? Je suis peut-être un âne, monseigneur,
mais moi, j’ai eu le privilège d’avoir assisté à la naissance de Notre Seigneur
Jésus-Christ. J’ai peut-être l’apparence d’un âne mais ce n’est qu’un
déguisement pour tromper les sots. Quant à ma promenade avec maître Machiavel,
ce n’était qu’un échange d’idées que nous avons eu ensemble et j’en suis
ressorti tout intelligent. Quelle différence avec vous, monseigneur, nous avons
à peine échangé deux phrases et j’en ressors tout bête ! »
    Le roi, émerveillé de ma vivacité d’esprit et de mes
reparties si bien troussées, rit et applaudit à tout rompre, accompagné dans la
seconde par toute la salle. J’eus même droit, ô miracle !, à un sourire de
la reine, mais peut-être m’étais-je trompé et n’était-ce qu’un rictus
d’amertume en raison d’un assaisonnement trop vinaigré.
    À la fin du repas, j’eus droit à un : « Tu ne
mérites que le bâton » de la part du seigneur adepte de Bacchus, qui,
après avoir eu grande difficulté pour se lever de table, chancelait
dangereusement en se dirigeant vers la cour du château pour regagner sa
demeure.
    Les menaces à mon encontre étaient choses courantes et je
n’y attachais plus aucune importance. Je n’avais pas à me plaindre de ma
condition qui devait être enviable pour ceux qui avaient comme moi choisi le
dur métier de bouffon de cour. En Italie et plus particulièrement à Rome, les
bouffons étaient roués de coups. En Allemagne, les bouffons étaient de
véritables guerriers, prenant une part active aux conflits, aux conspirations
et surpassant parfois en audace les plus illustres chevaliers. C’était loin
d’être mon cas. Accompagner mon roi à la guerre m’était à présent un véritable
supplice, et j’avais demandé l’insigne faveur de ne plus être contraint de le
suivre dans ses pérégrinations guerrières. Il m’avait généreusement accordé ce
privilège, d’autant que « mon cousin » avait insisté pour que je lui
tienne compagnie plus souvent. J’en avais profité pour inventer la locution
« de guerre las ». On prononçait las : lasse. C’est devenu par
la suite « de guerre lasse ». Je ne te fais pas un cours mais j’aime
bien, par-ci par-là, t’apprendre des choses, ça te permettra de briller dans
des dîners, si tu y es encore invité !
    Chacun s’étant souhaité la bonne nuit, mon roi ayant rejoint
sa reine, je regagnai mon logement par des couloirs assez sombres. Au détour
d’un escalier, des laquais m’attendaient et se précipitèrent sur moi pour me
bastonner sévèrement. Ils appartenaient ou étaient à la solde du seigneur qui,
une heure plus tôt, n’avait pas apprécié mon humour. Je pris quelques méchants
coups et je pus en parer d’autres tant bien que mal. Tout à coup, je me mis à
hurler comme un forcené ; cela me sauva.
    Ma voix résonna plus fort que dix cloches un jour de Pâques.
Le roi et la reine furent même interrompus dans leurs ébats et le roi,
tourmenté par mes cris, envoya ses gens pour s’enquérir de la cause de ce
grabuge nocturne.
    De tous les couloirs du château, on accourut avec des
flambeaux, ce qui eut pour conséquence de faire fuir les argousins. On me
raccompagna à ma chambre où l’on soigna « mes plaies et ma
bosse » ! Malgré

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