Le bouffon des rois
fus
chacun contrefaisant,
Sans jamais
estre aux dames malfaisant.
Du luth
jouay, tambourin et vielles,
Harpes, rebecs,
doulsaines, challemelles,
Pipetz,
flaiolz, orgues, trompes et corps,
Sans y
entendre mesure ni accords.
En chantz,
danses, fis choses non pareilles,
Mais dessus
tout de prescher fis merveilles ;
Car mon
esprit, qui n’eut oncques repoz,
En vingt
paroles faisoit trente propoz.
Armé en
blanc, joustay d’espée et lance,
Aussi cruel à
plaisir qu’à oultrance.
Devant moi
pages tremblaient comme la fièvre,
Fyer
menaceur, et hardy comme un lièvre.
Le roy adonc
me fait seoir à sa table,
Où luy donnay
maint passe-temps notable.
Oncques homme
qu’il eust en son service
Ne fit si
bien comme moi son office.
Et puis, orgueilleusement, je ne doutais pas que tous ceux
qui passeraient devant ma tombe fussent bien obligés de s’arrêter un long
moment pour prendre le temps de lire le texte tout entier de cette belle
épitaphe.
À propos d’écriture, Anne se languit de son roi qui ne
revient pas assez vite de la guerre et elle lui envoie des lettres déchirantes
qui transcrivent sa réelle tristesse de ne plus avoir son « cher et tendre
mariamant » auprès d’elle. Elle avait conseillé (et non plus exigé !)
à son cher seigneur et maître de s’établir solidement dans le Milanais au lieu
d’aller se disperser jusqu’au sud de l’Italie mais il ne tenait plus compte de
ses conseils et s’entêtait à guerroyer loin de sa couche. Anne, noyée dans une
profonde tristesse, se comparait à Pénélope, fidèle et confiante dans le retour
de son mari, et demandait au divin Jean Bourdichon de « l’enluminer »
dans une miniature qui la représentait écrivant, toute vêtue de noir, un chien
à ses pieds, symbolisant la fidélité avec, derrière elle, au pied d’un grand
lit vide ses dames de compagnie agenouillées. À chaque heure de la journée,
Anne écrivait à Louis et ses lettres se terminaient toutes par ces mots :
… dont la
Royne qui se plainct a bon droict
Et qui
tousjours près d’elle te vouldroit
reviens sans
auculne retarde
car ton
retour trop longtemps me tarde.
Deux bonnes nouvelles vont se croiser et mettre en joie les
deux amoureux séparés. Louis lui annonce sa victoire à Agnadello, et Anne lui
annonce qu’elle est une nouvelle fois enceinte. Tous deux font « faire
partout feuz de joye » pour fêter ces heureux événements.
Louis revient victorieux pour le plus grand contentement
d’Anne qui le reçoit avec « baisers, accollemens et
embrassemens ». Mais elle ne peut pas s’empêcher de l’agacer en
voulant à nouveau lui donner des conseils sur la marche à suivre en
Italie :
« Arrêtez-vous sur le succès d’Agnadello et cessez vos
querelles avec le pape. Il vous sera aisé de trouver un terrain d’entente.
— Croyez-vous mon oreille si paresseuse pour ne pas
entendre ce que vous me répétez sans cesse ?
— Ce pape est dangereux, ce n’est pas un Borgia.
— Mes armées le rendront à la raison, comme elles ont
fait des Vénitiens. C’est lui qui pliera et se mettra à mes genoux.
— Vous blasphémez, mon doux sire, et vous comprendrez
que je ne saurai me ranger sous vos enseignes. »
Adieu les chatteries ! Bienvenue aux bouderies. Les
retrouvailles amoureuses et passionnées n’auront pas duré bien longtemps et la
morosité ambiante se serait confortablement installée si Pierre Gringore, de
plus en plus prolifique, ne nous avait régalés de sa dernière pièce Les Écus
du pape. Cette satire sans compromis du souverain pontife à qui il fait dire
« Je suis le pape Jules second qui agace ou nuit au monde entier »
réjouit grandement la cour et le peuple.
Pendant l’absence du roi et des principaux seigneurs et
chevaliers, le royaume continuait à être bien géré par tous les conseillers qui
appliquaient à la lettre les ordres royaux. La bourgeoisie, autrefois plus
discrète, commençait à prendre une grande importance dans les principales
villes de France. Les commerçants, eux aussi, décidèrent de se grouper en une
puissante communauté de métiers, tout comme les ouvriers, les maîtres d’ouvrage
et les maîtres d’œuvre qui créèrent une société compagnonnique qu’on appelait
« les premiers compagnons du devoir », ayant pour outils symboliques
l’équerre et le compas. Ces associations discrètes aux signes distinctifs
prônaient la fraternité, la
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