Le bouffon des rois
quartier, où les campagnes sont ravagées
et les paysans massacrés.
Au cours d’un pillage, Louis, dans sa colère guerrière,
commet, à mon sens, un bien plus grand sacrilège que cette guerre contre le
pape. Il fait refondre la statue en bronze de Jules II qui trônait à
Bologne pour en faire un canon qu’il baptisera « la Julie ». Cette
belle statue était l’œuvre de Michelangelo Buonarroti (Michel-Ange), cet
athlète, âgé de trente-cinq ans, qui avait été chargé par Jules II de
peindre la voûte de la chapelle Sixtine. Il avait débuté son travail depuis
deux ans et était loin d’être au bout de ses pinceaux, la voûte mesurant
quarante mètres de long sur quinze de large. Lui qui disait :
« Je suis né pour sculpter, non pour peindre »,
avait, avant ses vingt ans, déjà sculpté une Madone à l’escalier et un
sublime Combat des Lapithes et des Centaures. Il se plaisait à affirmer
sans modestie qu’il avait atteint la perfection en sculptant la Pièta de
San Pietro, polie et achevée dans les moindres détails. Mais cet artiste tout
en contradiction, comme tous les bons artistes, aimait aussi donner un aspect
inachevé à ses œuvres, préférant s’arrêter de peur de compromettre son ouvrage
à force de finition.
Je te parle de lui parce qu’il méritait grandement ces
quelques mots en hommage à son génie car je n’ai pas approuvé le triste sort
réservé à sa belle statue. Louis XII, le premier mécène à contribuer au
renouveau de la renaissance artistique, s’abaisser ainsi à ce vandalisme, c’est
révoltant !
On a beau être en guerre, c’est une atteinte à la beauté et
à la création de profaner ou de détruire des œuvres d’art qui doivent rester
intactes, signatures d’une nécessité d’éternité.
Mais contrairement aux certitudes de mon roi qui pensait que
l’âme humaine s’ennoblissait en faisant la guerre, je persistais à croire
qu’elle rendait les hommes indignes.
« Vous vous exposez aux vengeances
célestes ! » menaçait la reine Anne en égrenant inlassablement son
chapelet d’or et de pierres précieuses, persuadée que tout ce qui arrivait
n’était qu’une punition divine, conséquence du conflit avec le pape.
Les vengeances, célestes ou non, furent de taille !
Milan et Gênes perdus, la France frappée d’interdit et Louis excommunié par
Jules II. Au plus fort de sa haine antifrançaise, il commande que l’on
frappe une médaille à son effigie le représentant coiffé de la tiare,
brandissant un fouet, chassant les « barbares » et foulant aux pieds
les fleurs de lys.
Toute la belle aventure italienne qui était à l’avantage de
mon roi tournait à son détriment hors des frontières du royaume car, en France,
personne ne va lui en faire grief, ni ses conseillers, ni les grands seigneurs,
ni la bourgeoisie, encore moins le peuple. On oublie les expéditions coûteuses,
les sévères défaites, on ne parle que de sa supériorité morale, de sa
persévérance à améliorer le sort de ses sujets et on se remémore avec une
certaine nostalgie les accueils victorieux des troupes. Louis peut continuer
sans faillir sa sage politique financière en appliquant toujours ses trois
principes : paix, justice et police.
Pierre Gringore ne prend pas les armes mais continue son
combat littéraire et théâtral contre le pape : il publie coup sur coup La
Chasse du cerf des cerfs, virulent pamphlet contre Jules II qu’il ne
craint pas de nommer serf des serfs (serras serrorum) et de jouer sur
l’équivoque de l’homophonie par rapport à sa bestialité (cerf) et son devoir de
servir Dieu (serf).
Mais il va connaître un triomphe absolu avec son fameux Cry
et sotie du jeu du Prince des Sotz où il se permet d’aller beaucoup plus
loin puisqu’il n’hésite pas à représenter le pape sous le nom d ’Homme
obstiné, revêtu des habits pontificaux et coiffé de la tiare. Deux autres
comédiens représentent le Peuple français et le Peuple italien venant se plaindre de sa tyrannie. L’Homme obstiné fait venir ses deux
confidentes Hypocrisie et Simonie quand surgit une autre
comédienne Punition divine qui les oblige à se repentir de leurs péchés.
Il n’y allait pas de main morte !
Faustus Andrelin, Jean Lemaire de Belges avec mon
« cher » Marot y vont aussi de leurs diatribes pour dénoncer les abus
de Venise et du pape. Malheureusement, il fallait bien que ce regain de santé
qui durait depuis plus de
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