Le bouffon des rois
en n’étant point dupe de ce prompt revirement, sembla satisfait
de l’attitude de son futur gendre et, au début du mois de mai, il se décida à
quitter le lugubre château de Vincennes où il s’était retiré depuis la mort
d’Anne pour prendre ses quartiers au château de Saint-Germain plus propice à
donner des fêtes et des réjouissances. Sa Majesté Très Chrétienne redevint
d’une humeur assez joviale et reprit goût aux divertissements et à mes
facéties. On crut un instant que le mariage de sa fille avec le duc d’Angoulême
allait être célébré dans les fastes et l’allégresse.
Tout le monde tomba de haut quand, le 13 mai, un bref
avis annonçant le mariage de Claude de France avec son cousin le duc de
Valois-Angoulême fut proclamé dans le palais. Il précisait dans un style d’une
grande froideur que la cérémonie aurait lieu dans la plus stricte intimité, eu
égard au décès récent de la reine et au deuil qui affectait encore le roi et sa
cour.
Cinq jours plus tard, le mariage eut donc lieu dans la
petite chapelle du château. Jamais je ne vis de mariage plus triste !
D’abord tout le monde était vêtu de noir pour bien souligner le deuil de la
reine trépassée. Oui, tu as bien entendu ! La mariée était en noir !
Le marié aussi ! Ainsi que le roi, tous les princes du sang, Louise de
Savoie, les nobles seigneurs, les prélats, les princesses, les demoiselles
d’honneur, les enfants de chœur, la chorale, tout ce joli monde était vêtu de
drap noir. Une seule tache de couleur, moi, Triboulet, dans mon costume de
bouffon qui, pour la circonstance, avait été taillé dans une soie de couleur rouge
et jaune.
Après une messe qui eut le mérite d’être fort courte, le
dîner ne le fut pas moins. Frugal et lugubre. Drôle de banquet de noces !
Ni trompettes, ni tambourins, ni ménestriers, pas de joutes ni de tournois, pas
l’ombre d’un drap d’or ou de soie de satin ni de velours. Je n’eus même pas le
loisir d’intervenir durant le repas. Le roi souhaita la bonne nuit à tout le
monde et se retira, laissant les deux époux gagner la chambre nuptiale. Le beau
François, habitué à la beauté étincelante de ses nombreuses conquêtes, dut se
contenter cette nuit-là d’une jeune fille de quinze ans d’une fine joliesse,
boitant quelque peu, ce qui était loin de le motiver même si elle était dotée
d’une douceur extrême, d’une vraie candeur, d’une simplicité de cœur et gratifiée
d’une voix charmante. Était-ce suffisant pour « mon cousin » ?
Avant que la porte de la chambre ne se fût refermée, il se retourna vers ses
compagnons pour leur dire :
« Rien en la personne de cette fille de roi ne me séduit,
je l’estime mais je ne pourrai jamais l’aimer. »
Il l’honorera bon nombre de fois puisqu’elle donnera
naissance à sept enfants dont cinq mourront avant d’avoir atteint leur
vingt-deuxième année.
Louise de Savoie jubilait. Pour elle, la partie était
gagnée, son César allait bientôt devenir roi de France. C’est alors qu’il se
passa un événement qui laissa tout le monde dans la plus grande
stupéfaction : Louis, trouvant certainement son veuvage suffisant et se
souvenant qu’il avait engrossé son Anne un an et demi plus tôt, se dit que,
malgré sa santé vacillante, il se sentait tout à fait capable de procréer à
nouveau.
Son père, Charles d’Orléans, que l’on avait « reconnu
caduc, débile, malade et moribond », avait eu son dernier enfant à
l’âge de soixante-douze ans et Louis en avait vingt de moins ! Il se mit
donc en quête d’une reine possible pour l’asseoir sur le trône de France. Il
n’en manquait pas mais aucune ne convenait à mon vieux roi, convoiteux de chair
fraîche, devenant difficile sur la « marchandise royale ». Si on
l’avait souvent accusé d’être peu exigeant pour la délicatesse de ses
divertissements (tu vois qui était encore visé !), il n’en était pas de
même pour la suavité du coït royal.
Le 7 août, un traité de paix et d’alliance avait été signé
avec Henry VIII d’Angleterre à la suite de la défaite de la bataille de
Guinegatte, surnommée journée des Éperons [4] , où des
Français de haut lignage avaient été faits prisonniers.
Leur incarcération était fort douce puisque, très
rapidement, ils furent admis dans la familiarité d’Henry VIII, festoyant
avec lui et jouant de grosses sommes, espérant ainsi pouvoir payer
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