Le bouffon des rois
reprises de grandes frayeurs. On ne comptait plus les
accidents qui avaient émaillé sa turbulente enfance. À sept ans, une pierre
reçue en plein front fit craindre pour sa vie, mais fort heureusement, malgré
l’abondante hémorragie, la blessure ne fut que superficielle comme celle de
cette lame d’épée qui lui traversa la cuisse le jour de ses quinze ans. Le
dernier accident en date était une chute de cheval au cours d’une partie de
chasse où il eut le bonheur de se relever souffrant seulement de quelques
contusions et d’une légère foulure. Son maître de vénerie, qui l’accompagnait,
ne connut pas le même sort. Son cheval, soudain pris de frayeur, s’enfuit au
triple galop et se débarrassa de son cavalier qui, en tombant, eut le pied
gauche coincé dans l’étrier. Le cheval traîna le malheureux à écorche-cul par
les buissons, les ronces et les cailloux. Il fut tellement malmené que le
cheval s’en revint seul à l’écurie ne rapportant que le pied bien chaussé du cavalier.
Je ne pus m’empêcher de penser : « Il est parti à cheval, il est
revenu à pied ! Qui va à la chasse perd sa place ! » Quelle fin
tragique pour l’écuyer de François qui, d’une certaine manière, lui avait mis
le pied à l’étrier !
Mon roi, qui n’était plus que son fantôme, semblait se
désintéresser de tout ce qui l’entourait. Mais les semaines s’égrenant à une
vitesse vertigineuse, il se souvint qu’il était toujours Sa Majesté
Louis XII, roi Très-Chrétien et père du peuple, et que, selon son serment,
il fallait bien finir par marier sa fille Claude au beau François. Ils étaient
fiancés depuis huit ans et tous deux avaient largement dépassé l’âge de la
nubilité.
Il reprit ses séances du Conseil auxquelles j’assistais
comme naguère. Plusieurs fois je l’entendis exprimer son peu d’enthousiasme
pour ce mariage qu’il avait pourtant tant désiré. Il trouvait que son héritier
présomptif n’avait rien retenu de la bonne éducation qu’on lui avait donnée et
que cet enfant gâté allait justement tout gâter ; les folles dépenses et
les prodigalités excessives du duc de Valois étant tout à fait inacceptables et
sa conduite indigne de celle d’un futur roi. Louis avait en effet appris sa
liaison avec une des plus belles femmes de Paris, Madame Disommes, qui, en
trompant ouvertement son vieux magistrat de mari, donnait raison au vieil adage
populaire affirmant que la justice était aveugle. Cette liaison faisait grand
bruit dans Paris et l’on commençait à « jaser dur » sur les prouesses
amoureuses de « mon cousin » qui, à en croire la rumeur, ne
s’arrêtait pas à cette aventure.
À cela s’ajoutaient les chuchotements de la courtisanerie
qui s’étaient mués rapidement en un immense brouhaha et on ne parlait plus que
haut et fort de l’avènement de François au trône. C’en était trop pour mon roi
qui convoqua son futur gendre pour converser en tête à tête. Après avoir
congédié tout son entourage sauf moi (oublia-t-il ma présence ou voulut-il que
je reste ? Mystère !), il réprimanda avec douceur ce grand et beau
garçon qui le dominait d’une bonne tête en lui faisant une belle leçon
d’économie, en lui donnant de sages conseils fort utiles pour quelqu’un qui a
le grand désir d’accéder au trône et en le mettant en garde contre toutes les
tentations susceptibles d’entraver le bon déroulement d’un règne. Il termina
son long monologue par une apologie comme il les affectionnait :
« Au cours de mes nombreux voyages, je chevauchai
depuis fort longtemps et je me crus enfin arrivé à une ville dont j’apercevais
le clocher derrière un repli de terrain. Je pensais atteindre vitement les
portes de la ville. Ce n’était là qu’une illusion : j’ai dû chevaucher
bien plus longtemps que je ne l’avais cru tout d’abord. »
François écouta avec attention et répondit avec déférence
qu’il avait bien compris le message, qu’il s’engageait à prendre en compte tous
les avis et les conseils de Sa Très Gracieuse Majesté et qu’il promettait de
s’amender en toutes choses.
Guidé et appuyé fortement par son nouveau précepteur et par
Florimond Robertet, François de Valois se mit à fréquenter assidûment les
séances du Conseil, à prendre connaissance de la gestion des différentes
affaires du royaume et à montrer un intérêt certain à son futur métier de
souverain. Louis, tout
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