Le bouffon des rois
leur
libération grâce aux gains accumulés. Parmi eux, le comte de Longueville,
compagnon de jeux préféré du souverain anglais, eut une idée diabolique digne
du plus rusé diplomate que Machiavel n’aurait certes pas renié. Il persuada
Henry VIII de faire alliance avec la France en faisant s’épouser sa sœur
Mary et mon souverain veuf et triste.
« Ces tendres liens uniraient nos deux pays, lui
répétait-il avec l’évidence d’un homme politique aguerri. »
Et ce fut conclu mais après combien de palabres et de
sordides discussions d’argent ! Que de tractations pour en arriver à ces
épousailles ! À croire qu’Henry VIII était encore plus pingre que
notre cher « éconhomme de roi ». Enfin, l’on signa la promesse de
mariage. C’était l’occasion ou jamais pour Louis XII d’une réconciliation
avec l’Angleterre.
Le mariage par procuration eut lieu à Greenwich le
13 août. Le duc de Longueville y représentait le roi, resté à Paris. Le
contrat signé, Mary reçut un anneau d’or qu’elle enfila à l’annulaire de sa
main droite. Après la messe, le cortège royal se rendit jusque dans la chambre
nuptiale où, selon l’usage, Mary fut mise dans un lit où le duc de Longueville,
au nom de son maître, la toucha de sa jambe dénudée. Elle était reine de France
et l’on prépara sa venue dans son futur royaume.
Mary supplia son frère de lui permettre d’emmener avec elle
le comte de Suffolk pour une raison très simple : il était son amant.
Refus catégorique du roi son frère. Il promet qu’il l’enverrait en tant
qu’ambassadeur dans quelque temps. Mary insista alors pour que sa gouvernante
française Jane Popincourt ne la quittât pas. Elle se heurta cette fois au refus
du roi son époux. Cette femme était la maîtresse du duc de Longueville et sa
réputation de mégère avait plusieurs fois traversé la Manche, si bien que
Louis XII exigea qu’elle restât sur le sol anglais et que jamais elle ne
mît la pointe de son soulier sur la belle terre de France. J’ai entendu de mes
grandes oreilles Louis prononcer cette phrase à son propos :
« C’est un bûcher de sorcière qu’il lui
faudrait ! »
Ce jour d’automne 1514 était un brin froid mais le soleil
avait daigné faire une timide apparition sur les côtes de France pour embellir,
s’il en avait été besoin, les cheveux bruns, la belle taille et le teint blanc
agrémenté d’une touche de vermeil du séduisant François, duc de Valois, comte
d’Angoulême, agissant en qualité de premier prince du sang, venu accueillir le
frais minois de dix-neuf ans aux cheveux dorés de Mary d’Angleterre, sœur du
roi Henry le huitième du nom de la lignée des Tudors, qui devint Marie,
nouvelle reine de France.
Dès qu’elle mit le pied sur le sol français, elle vit le
beau François, souriant de toutes ses dents, fort belles et bien rangées, vêtu
de blanc et d’or et la mine avenante. Il parla d’abondance, complimenta,
charma, avant que d’attaquer, bien décidé à vaincre. Même si le duc de Suffolk,
son jeune amant, était l’élu de son cœur, ce dernier s’était mis à battre à un
rythme prompt à donner la pâmoison. Elle ne se doutait pas qu’il pût battre
ainsi comme jamais elle n’avait pensé pouvoir l’arrêter. Mon cousin fut séduit
à son tour et, comme à son habitude, éperdument amoureux, ce qui, tu t’en
doutes, ne va pas arranger la suite des événements déjà assez compliqués. Elle
avait été fiancée à Charles de Gand ! Tiens, un revenant ! Et il va
d’ailleurs revenir en force, mais c’est pour plus tard ! Pour le moment,
il n’est pas encore roi d’Espagne.
François la conduisit de Boulogne à Abbeville où mon roi
devait l’épouser le 9 octobre. Elle venait de fêter ses dix-neuf ans,
Louis en avait cinquante passés et en paraissait le double. Un mariage dont la
gaieté frôlait la tristesse d’un enterrement. Décidément les mariages ont bien
triste mine ces derniers temps ! Il n’y avait que mon somptueux habit de
sayon jaune et rouge et la chasuble multicolore du cardinal qui coloraient la
sempiternelle lugubre cour de France toute vêtue de noir en signe de deuil
récent. Un nouveau mariage en noir que tout le monde, sauf mon roi, qualifiait
de mariage blanc.
Ne voulant pas changer ses habitudes, le ciel du Nord
s’était mis à l’unisson et s’assombrit si fort que l’on crut que la nuit était
tombée devant que vêpres
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