Le Brasier de Justice
perplexe. Nogent-le-Rotrou n’est guère Paris ! Mettre la main au col d’un assassin de cette sorte ne devrait pas tant tarder !
— Supputez-vous que messire de Trais protégerait quelqu’un de sa faveur, un être ayant des penchants immondes ?
— Je ne sais au juste. Toutefois, le soupçon m’en est venu. C’est pour cette raison que j’ai besoin de votre aide discrète. Quoi qu’il en soit, notre bien chère abbesse ne connaissant pas personnellement Monseigneur Jean, duc de Bretagne, dont dépend Nogent-le-Rotrou, elle s’est adressée à la plus puissante de ses connaissances afin que cessent ces actes révoltants et sacrilèges.
— Et Monseigneur de Valois, désireux de plaire à sa dame…
— M’a confié l’affaire. Sa certitude que je parviendrai à l’élucider à sa satisfaction me remplit de fierté. Toutefois, M. de Valois, conscient que Nogent-le-Rotrou ne fait pas partie de son apanage et ne souhaitant pas provoquer l’ire de Monseigneur de Bretagne, arrière-beau-père de sa fille, avec qui il est parvenu à une paix d’armes, a lourdement insisté sur la délicatesse, voire la duplicité dont je devrai faire preuve… Il s’agit donc de l’aider de derrière la tenture 7 .
Duplicité dont je devrai faire preuve, rectifia pour lui-même Arnaud de Tisans.
— L’idéal serait sans conteste que nous remettions le vrai coupable, tout rôti sur une broche, à Guy de Trais, en espérant qu’il ne le laisse pas filer tant il paraît maladroit… ou pis ! Pensez-vous que votre brise-col de Mortagne en soit capable ?
— S’il accepte de m’aider, j’en prendrai le pari.
— S’il accepte ? répéta Adelin d’Estrevers. Qu’il ne commette pas l’erreur de refuser, ajouta le grand bailli d’épée, une moue arrogante aux lèvres.
— On ne contraint pas un bourreau, fort riche et éduqué de surcroît, murmura Tisans que l’échange lassait maintenant qu’il en comprenait mieux les enjeux.
Il n’éprouvait aucune affinité pour Estrevers et les êtres emplis de certitude, qu’aucun doute ne semblait jamais ronger, l’inquiétaient. Estrevers appartenait à cette race d’officiers capables d’incendier sur ordre tout un village sans ciller, sans même s’enquérir d’une justification.
— À vous revoir très vite, Tisans. Même lieu. Je vous en préciserai la date.
Le seigneur grand bailli remonta en selle et, après un bref salut, lança son cheval au galop.
Arnaud de Tisans alla rejoindre sa monture, pensif. Comment réagirait cadet-Venelle s’il venait à apprendre l’escobarderie 8 ? Fort mal, sans nul doute.
Lorsque son Maître de Haute Justice était venu réclamer la vie de Jacques de Faussay ainsi que l’honneur restitué à Marie de Salvin, Tisans se débattait depuis des jours avec les exigences d’Adelin d’Estrevers, ne sachant comment procéder. L’idée avait germé dans l’esprit du sous-bailli lors de cette première discussion, quand il avait senti que rien ne ferait reculer cadet-Venelle en proie à une puissante émotion, à une furieuse envie de justice. Arnaud de Tisans avait donc décidé d’accéder sur-le-champ à la demande de son bourreau et de lui offrir la tête de Jacques de Faussay afin d’en obtenir une contrepartie. Le sort d’Évangeline Caquet, évoqué ensuite, sans indifférer le sous-bailli, n’avait été qu’un prétexte même si, à la relecture des carnets, il en était arrivé à la certitude que la pauvre fille n’avait pas assassiné sa maîtresse. Toutefois, si le sieur Garin Lafoi n’avait remué ses escabelles 9 en Nogent-le-Rotrou, Arnaud de Tisans n’aurait pas accordé une autre seconde à cette vieille affaire. Cependant, il lui fallait inciter M. Justice de Mortagne à rejoindre cette ville dans l’espoir que les meurtres des petits miséreux le toucheraient. Nogent-le-Rotrou ne faisant pas partie de son baillage, Garin Lafoi lui fournissait un prétexte recevable pour y expédier son Maître de Haute Justice. Une vilaine manœuvre, dont Tisans n’était guère fier, toutefois il avait vite senti que seule l’émotion, cet étrange pacte que le bourreau avait passé avec lui-même, le convaincrait d’accorder son aide précieuse. Les sentiments : la seule faiblesse des hommes forts. Une belle faiblesse, très dangereuse, néanmoins.
Les explications d’Estrevers n’avaient qu’à moitié convaincu Arnaud de Tisans. Pourquoi tant de secrets ? Si Mgr de Valois
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