Le Brasier de Justice
emmanché une beigne à l’assommer… alors, ce maudit s’en est pris à moi, vu qu’y pouvait plus cogner son fils.
Hardouin tenta de la repousser sans brutalité, mais elle se colla à la porte de barreaux, défendant l’accès de son corps.
Elle fouilla sous son mantel et en tira un vieux mouchoir qu’elle lui tendit.
— Prenez, pour l’amour de Dieu. Y a des sous, d’dans. J’ai vendu les deux chèvres. J’m’a fait gruger, c’est point grave. Prenez l’argent… On m’a dit que… enfin qu’vous pouviez… par bonté… Enfin… que ça pouvait être rapide… Pour l’amour du Christ Sauveur… Hâtez la fin… J’veux pas… j’peux pas supporter… y voulait que m’protéger… Mon Gaspard…
Elle sanglotait, la morve dégoulinant jusqu’à ses lèvres. Elle tenta de forcer le mouchoir dans sa paume. Les yeux d’Hardouin détaillèrent la femme, son visage violet et jaune des hématomes, son nez cassé, la pauvreté de sa mise.
Un courant d’air frôla sa nuque. Non, l’air était frais céans. Un souffle tiède venait de le caresser, comme dans son rêve. Marie. Il lui sembla soudain que tout le désespoir humain, tout l’amour du monde était serré dans ce vieux mouchoir qu’une mère lui offrait pour abréger les souffrances de son fils.
— Reprenez votre argent. La fin viendra vite.
— Juré ?
— Juré. Dites-lui adieu et partez, que je ne vous revoie jamais.
Après quelques tentatives, la clef joua dans la serrure. Gaspard se leva dans l’entrechoquement des chaînes qui lui entravaient les chevilles et les poignets.
— La mère… bafouilla-t-il. J’pensais pas t’revoir.
Elle se rua vers lui, l’enserrant entre ses bras, couvrant son visage de baisers, murmurant :
— Inquiète-toi pas, inquiète-toi pas… il est juste, le bourreau. On se r’voira bientôt au paradis, mon gars… J’penserai à toi chaque jour… avec les sous qu’y veut pas pour sa bonté, j’ferai donner une messe, pour toi et pour lui.
— Soyez brève, lâcha Hardouin, et laissez-nous.
La femme en larmes embrassa à nouveau son fils qui allait mourir, puis se tourna vers le bourreau, le dévisagea en déclarant :
— J’vas garder l’gris de tes yeux comme la plus belle couleur d’ma foutue vie.
— Partez, maintenant, répondit-il d’une voix douce.
— Y souffrira pas, mon gars ?
— Non. Ma parole.
Après un dernier regard pour son fils, tentant d’étouffer ses sanglots de son poing pressé contre sa bouche, elle disparut dans la pénombre du couloir souterrain. Cadet-Venelle referma la grille.
— Il l’aurait tuée, s’éleva la voix du très jeune homme. J’l’ai cogné à coups d’bûche pour enlever la mère de ses sales pattes.
— Je sais. Nous avons peu de temps, le chafaud est dressé. Et toi, es-tu prêt ?
— Oui… Elle…
Hardouin s’approcha de celui qu’il allait exécuter par compassion. Un bel adolescent, grand, charpenté, aux épais cheveux bruns.
— Ça f’ra mal ?
— Non… beaucoup moins que ce qui est prévu… Es-tu prêt… un mot de toi et je me recule.
— Non, non… de grâce… De grâce, tuez-moi bien vite… Mon âme est en paix, j’ai point fait l’mal.
— Me pardonnes-tu, mon frère en Jésus-Christ, car je vais t’ôter la vie ?
— Oui, vite… faites vite, j’vous en supplie… j’pardonne. J’vous pardonne et vous remercie.
Hardouin caressa le front ruisselant d’une sueur de terreur en murmurant :
— Dis une dernière prière, je te laisse quelques minutes. Puis repose en grande paix, mon frère.
Gaspard ferma les yeux pour une ultime supplique à Dieu.
Il ne vit pas le geste très rapide, brutal, qui enroula autour de son cou la chaîne qui maintenait ses poignets. Hardouin tira de toutes ses forces. Un craquement. Les vertèbres s’étaient rompues. Le jeune homme s’écroula sans avoir compris que la mort venait de l’emmener.
Hardouin cadet-Venelle se signa puis ressortit. Il héla le garde qui mit quelques instants avant de paraître, trébuchant sur le sol irrégulier. L’exécuteur déclara d’un ton sec et exaspéré :
— Il s’est suicidé ! Ah ça ! Surveilles-tu parfois tes geôles ? Je m’en plaindrai à qui de droit en exigeant d’être quand même payé pour mon déplacement. Ils n’ont qu’à le retenir sur ta solde.
La brute à hure d’ivrogne se courba, affolée.
— Ben… ben… l’était pourtant ben vif…
— Quand
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