Le bûcher de Montségur
supprimèrent cette formalité (qui les eût forcés à « réconcilier » trop de personnes qu’ils ne souhaitaient nullement traiter en bons catholiques) : les témoignages d’hérétiques furent déclarés valables, s’ils tendaient à accuser d’autres hérétiques, sans valeur seulement dans le cas où le témoin était favorable à l’accusé. Les témoignages des personnes frappées d’infamie – voleurs, escrocs, prostituées, etc. – étaient reçus également. Quant aux « ennemis capitaux », étant donné le fait que l’accusé ignorait l’identité des témoins, et que le juge pouvait ignorer les rapports qui existaient entre les témoins et l’accusé, cette restriction n’avait presque plus de sens.
En outre, les accusés ne pouvaient bénéficier du secours d’avocats (bien qu’ils y eussent droit en principe) : le seul fait de vouloir défendre un hérétique – ou un homme supposé tel – rendait l’avocat lui-même suspect d’hérésie ; ses arguments ne pouvaient être pris en considération et il s’exposait à des ennuis graves ; peu d’avocats avaient le courage de se charger de cette tâche aussi ingrate qu’inutile.
Il semble bien que c’est l’audition de témoins à huis clos qui a été la grande invention de l’Inquisition dominicaine (bien que R. de Saint-Ange l’ait déjà plus ou moins pratiquée lors du concile de Toulouse, mais sans l’ériger en système). Elle a été la première et presque la principale cause de la terreur qu’inspiraient les inquisiteurs, et une des grandes raisons de leur succès final. En créant un climat de méfiance et de suspicion dans les communautés les plus unies, ce procédé a été un puissant facteur de désagrégation morale et a fini par rendre impossible une résistance organisée : la résistance ne se manifesta plus guère que là où les pouvoirs publics en prenaient la responsabilité directe. Nous avons vu l’activité des consuls de Toulouse, de ceux du bourg de Narbonne. Nous avons vu les bailes des sires de Niort défendre aux commissions de recherches l’accès de bourgs appartenant à leurs seigneurs ; en 1240, les bailes du comte de Toulouse agirent ainsi, par la menace ou la force armée, contre la commission du Frère Ferrier, à Montauriol et à Caraman. Ces faits, plus fréquents sans doute que ne le montre l’examen de documents, étaient malgré tout des exceptions : les officiers et fonctionnaires qui se rendaient coupables de ces actes de rébellion contre l’Église risquaient les peines les plus graves et ne pouvaient agir que sur ordre formel de leurs maîtres ; et le comte lui-même, perpétuellement harcelé, menacé, trop faible pour se permettre une attitude de révolte ouverte, n’intervenait que là où l’exécution de ses ordres pouvait, à la rigueur, passer pour une initiative spontanée des pouvoirs locaux.
Les inquisiteurs, eux, n’avaient peur de rien. Si plusieurs payèrent de leur vie leur zèle excessif, leur énergie et leur hautaine assurance en imposaient à une population déjà habituée à voir dans l’Église un terrible danger : les clercs avaient provoqué la croisade et finalement triomphé ; même peu nombreux, ils avaient derrière eux la formidable puissance d’une Rome toujours prête à attirer sur le pays de nouvelles calamités.
Quand un inquisiteur, accompagné de notaires, greffiers, geôliers et parfois de quelques hommes d’armes, se présentait dans une ville ou un bourg, il s’installait soit dans le palais épiscopal, soit au couvent des Dominicains s’il y en avait un dans le pays, soit dans tout autre couvent de la ville, et prononçait ensuite un sermon public, flétrissant l’hérésie et proclamant un « temps de grâce », limité en général à une semaine. Ceux qui ne se présentaient pas spontanément durant le temps de grâce risquaient d’être, passé ce délai, poursuivis d’office ; les personnes qui se présentaient d’elles-mêmes ne pouvaient encourir de peines graves telles que la confiscation de leurs biens, l’emprisonnement ou la peine de mort ; même très compromises elles n’étaient assujetties qu’à des pénitences canoniques.
Donc, même dans une ville où l’hérésie était puissante, un certain nombre de croyants – les plus craintifs, ou ceux qui se savaient des ennemis – accouraient pour s’accuser, avouant parfois des fautes soit imaginaires soit insignifiantes, dans
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