Le bûcher de Montségur
canoniques durant la semaine avant l’Ascension en 1241 ; 110 pénitences diverses à Moissac la semaine suivante, 220 pénitences à Gourdon la semaine de l’Avent, 80 à Moncuq ; toutes les tournées d’inquisition n’étaient pas aussi fructueuses. Beaucoup de registres et de comptes rendus de procès ne nous sont pas parvenus. Les chiffres qui nous sont donnés par les documents existants ne rendent compte que d’une partie des faits, mais il faut également dire que les inquisiteurs ne pratiquaient pas la justice sommaire que la croisade avait rendue possible à Lavaur et à Minerve, et tenaient, au contraire, à enregistrer tous les procès dans les formes. Ils y avaient d’autant plus intérêt que les interrogatoires avaient pour but d’obtenir des noms, et les minutes des procès servaient de pièces à conviction contre des milliers de suspects. Les registres, précieusement gardés, étaient une source d’inquiétude pour une grande partie de la population, car personne ne pouvait être assuré de n’avoir pas été au moins une fois dénoncé comme recéleur ou fauteur d’hérétiques ; il suffisait d’avoir salué dans la rue tel ou tel parfait, vingt ans plus tôt ; d’avoir pris part à un repas où étaient présents des hérétiques, etc. ; il suffisait parfois d’une dénonciation calomnieuse, mais impossible à réfuter car, qui pouvait prouver qu’il n’avait pas, à une époque et en un lieu que l’on se gardait bien de lui préciser, été rencontré (par une personne dont on lui taisait le nom) en compagnie d’un parfait ?
L’omniscience des inquisiteurs semble avoir été une des causes principales de la terreur qu’ils inspiraient. Tandis que les évêques s’étaient, pendant des dizaines d’années, révélés impuissants à lutter contre des adversaires qui, dans l’immense majorité, se disaient catholiques et déclaraient ne connaître que des catholiques, les inquisiteurs, comme par miracle, parvinrent à amener des milliers et des milliers de personnes à venir elles-mêmes se déclarer hérétiques (dans le présent ou dans le passé) et raconter qu’elles avaient fréquenté des hérétiques. Or, si certains évêques s’étaient montrés négligents dans la répression de l’hérésie, ceux qui gouvernaient les diocèses du Languedoc, en 1229, ne pouvaient nullement être accusés de tiédeur, et ne manquaient pas de subordonnés et d’hommes de confiance auxquels ils pouvaient confier l’office de l’Inquisition. La justice épiscopale était, depuis toujours, très dure pour les hérétiques. Mais la justice inquisitoriale n’était plus une justice du tout, et c’est ce qui la rendait si redoutable.
Elle démoralisait et déconcertait, et créait dans le pays une atmosphère d’angoisse permanente ; et si les parfaits et les croyants les plus fermes savaient ce qu’ils risquaient et pour quoi ils s’exposaient aux dangers, la majorité de la population (fût-elle hérétique) se composait tout de même de gens qui voulaient vivre et qu’une éternelle menace de poursuites arbitraires et imprévisibles affolait ou exaspérait. Un peuple peut se battre pour sa liberté ; mais un homme qui se demande sans cesse si le voisin d’en face ne l’a pas dénoncé et s’il ne ferait pas mieux d’aller s’accuser lui-même plutôt que d’attendre une convocation, est désarmé d’avance ; car pour se battre, il a besoin d’être soutenu par le voisin d’en face et par les gens du quartier. Il y eut des émeutes populaires ; une émeute ne saurait durer longtemps et, si elle ne triomphe pas, elle amène une terreur plus grande encore. De Toulouse, l’autorité des consuls et du comte avait réussi à chasser les Dominicains, la pression extérieure exercée par le roi et le pape les y avait ramenés plus puissants que jamais. Il n’était sans doute pas dans le pouvoir, ni peut-être dans les intentions du pape, de freiner le zèle des inquisiteurs : instrument de terreur, l’Inquisition dominicaine ne pouvait renoncer à sa fonction primordiale, et pendant des siècles encore les papes ne cesseront de soutenir et de défendre les Dominicains contre toutes les attaques des peuples et des autorités civiles.
II – PROCÉDURES DE L’INQUISITION
Avant de voir ce que fut la réaction de l’Église cathare devant ce nouveau danger, il faudrait essayer de comprendre en quoi consistait exactement la procédure inquisitoriale dans le
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