Le bûcher de Montségur
devait être grande ainsi que le montrera la suite des événements ; il est à croire que les chevaliers qui venaient pour y prier profitaient de leur pèlerinage pour apporter dans la place leur contribution en lances, flèches, arbalètes ou armures ; D. Vaissette pense même que Montségur aurait servi de place d’armes à Trencavel 176 ce qui ne semble pas confirmé par les faits, aucun témoin ne faisant mention d’un passage de Trencavel à Montségur. Mais l’immense dépôt d’armes accumulé dans la forteresse pouvait aussi bien être destiné à la défense du château qu’à l’approvisionnement en armes d’une éventuelle armée libératrice.
De plus, Montségur, « capitale » de l’Église cathare du Languedoc, abritait non seulement une grande partie des ministres de la secte, mais aussi un « trésor ». Ce trésor consistait, d’abord, en dépôts d’argent, car pour la défense du château et l’entretien d’un grand nombre de parfaits il fallait disposer de sommes considérables, et Montségur devait aider les frères qui militaient dans les régions où ils étaient exposés à la persécution. Le trésor comprenait certainement autre chose : des livres sacrés, peut-être des manuscrits très anciens, des œuvres de docteurs particulièrement vénérés ; la littérature cathare était abondante, et les parfaits, pour instruire les fidèles et les néophytes, ne se contentaient pas du Nouveau Testament ; tout aussi passionnés de théologie que les catholiques, ils tenaient à conserver la pureté du dogme et attachaient la plus grande importance aux livres qui les aidaient à se maintenir dans la tradition orthodoxe. Le trésor comprenait-il autre chose ? Des reliques, des objets considérés comme sacrés ? Ce qui est certain c’est qu’aucune déposition n’en a jamais fait mention ; il est vrai aussi que l’interrogatoire des inquisiteurs ne prévoit aucune question de ce genre. Il est possible que tel manuscrit de l’Évangile ou tel objet servant au culte aient pu être entourés d’une vénération spéciale – les cathares étant, après tout, des hommes – et gardés à Montségur à titre d’objets sacrés. Mais quelle que fût la nature du trésor de Montségur, l’endroit lui-même commençait à prendre une importance exceptionnelle dans l’esprit de tous les croyants du Languedoc, et il devenait le lieu saint par excellence.
L’était-il avant 1232, ou avant la croisade ? Il ne le semble pas. Au temps où les cathares étaient libres de célébrer leur culte où ils voulaient, Montségur n’était un lieu sacré que pour les hérétiques de la région de Foix, l’esprit d’indépendance locale jouant là comme ailleurs. Cependant, sa situation et sa construction montrent qu’il a pu être un temple autant qu’un château ; qu’il a très probablement été aménagé en vue de la célébration du culte, à un moment peut-être où l’Église cathare se sentait assez forte pour édifier et consacrer ses propres sanctuaires à l’exemple de l’Église catholique : en 1204 dans la région de Foix, la religion cathare était presque la religion officielle.
Entre 1232 et 1242, le château devint un lieu saint vers lequel les mourants se faisaient transporter, à dos de mulet, par les chemins de montagne, pour y recevoir le sacrement suprême et être ensevelis à l’ombre de ses murailles. Ainsi le chevalier Jordan Calvent, déjà consolé, se fit porter à Montségur pour y mourir ; Pierre Guillaume de Fogart, accompagné de deux bons hommes, entreprit le voyage dans un tel état de faiblesse qu’il ne put arriver jusqu’à Montségur et s’arrêta à Montferrier où il mourut. Des femmes nobles des régions environnantes s’y retiraient pour y recevoir le consolamentum et y vivre dans la prière : en 1234, Marquesia de Lantar, belle-mère de R. de Perella, s’y fit « hérétiquer » par Bertrand Marty ; les nombreuses parfaites qui vivaient dans leurs « maisons » autour du château recevaient les visites de leurs sœurs ou de leurs filles, qui faisaient auprès d’elles des séjours plus ou moins longs, parfois de plusieurs mois ; parmi les visiteurs qui montèrent au château au cours des années 1233-1243, on cite surtout des chevaliers et des hommes d’armes, et aussi des femmes, sœurs ou filles de chevaliers. Les croyants de moindre condition y montaient peut-être aussi, mais n’ont pas attiré l’attention
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