Le bûcher de Montségur
particulière des tribunaux ; ceux-ci mentionnent toutefois les marchands des environs qui se rendaient à Montségur pour vendre des vivres, et tombaient de ce fait sous le coup de la loi qui interdisait de fournir une aide quelconque aux hérétiques.
En 1235, Raymond VII envoya trois chevaliers avec la mission de prendre possession de Montségur ; ces chevaliers furent reçus dans le château, adorèrent Guilhabert de Castres et retournèrent à Toulouse. Peu après, le comte envoya vin de ses bailes, Mancipe de Gaillac, qui se contenta, lui et ses compagnons, d’adorer les bons hommes, et repartit comme il était venu. Une troisième fois, le comte envoya le même Mancipe de Gaillac avec des hommes d’armes qui s’emparèrent du diacre Jean Cambiaire (ou Cambitor) et de trois autres parfaits, et les emmenèrent à Toulouse pour les brûler. Cet incident illustre assez bien la politique du comte à l’égard des hérétiques : l’attitude de Raymond VII envers l’hérésie restera équivoque jusqu’au bout. Tous les témoignages attestent qu’il fut un bon catholique. Il est même probable – certains faits de sa vie le montrent – qu’il détestait sincèrement l’hérésie, cause des malheurs de son pays. Si, à maintes reprises, il eut partie liée avec les cathares, il devait surtout chercher à se servir d’eux comme d’une arme qui pouvait l’aider à reconquérir son indépendance.
Raymond de Perella, seigneur de Montségur, était suzerain des châteaux de Péreille, de Laroque d’Olmes, d’Alzen (act. Nalzen), et Montségur n’était pas sa seule résidence, ni sans doute celle que les sires de Perella préféraient, puisqu’en 1204 le château tombait en ruines. L’édifice devait exister avant l’établissement de la famille de Perella dans le pays, mais sa construction ne paraît pas remonter plus haut que le IX e siècle. Sa construction (ou plutôt son plan, car les murs ont été au moins partiellement reconstruits en 1204) révèle certaines connaissances techniques et mathématiques fort rares en Europe occidentale à cette époque, et du reste l’architecture de Montségur est unique en son genre, non seulement dans la région mais dans tout le Languedoc.
Le rocher, dont le sommet atteint 1 207 mètres d’altitude, et d’accès difficile, pouvait servir de défense naturelle ; mais à première vue il semblerait que le bâtisseur du château ait été plutôt mal inspiré d’aller se percher si loin et si haut. De nos jours, les ruines de châteaux forts ne manquent pas en haut de pics et de crêtes qui dominent les grandes routes, les fleuves, les cols ; Montségur est parmi les rares ruines situées dans des endroits qui ne dominent rien et ne mènent à rien. Le constructeur a dû être plus influencé par la beauté du site que par ses avantages pratiques. On a vu des églises s’édifier dans des endroits invraisemblables – rochers escarpés, sommets isolés, lieux désignés par quelque vision miraculeuse ou consacrés par une tradition païenne christianisée. Le choix du site de Montségur s’apparenterait à celui de Rocamadour ou de Saint-Michel de l’Aiguilhe ; mais on ne relève guère, dans la région, de traces d’un culte qui eût justifié la construction d’un temple en ce lieu précis. Du reste, l’architecture de ce château ne ressemble pas à celle d’un édifice religieux ; ce n’est pas, non plus, celle d’un château fort. Commandée par la forme du rocher, elle n’en suit pas moins un plan qui semble se soucier avant tout des effets d’éclairage, et de l’orientation des murs par rapport au soleil levant. Mais la particularité la plus étrange de cette construction, ce sont ses deux portes et ce qui reste des fenêtres du donjon : aucun château médiéval – si l’on excepte les murs d’enceinte des grandes villes – ne possède de porte aussi monumentale que la grande porte d’entrée de Montségur. Elle mesure près de deux mètres de largeur et n’est protégée par aucune tour ni aucun ouvrage de défense ; dans cet imprenable château on pouvait entrer comme dans un moulin, à condition de franchir d’abord la pente du rocher. De tels portails étaient un luxe réservé aux églises ; et, que cette porte ait été percée en 1204 ou laissée telle lors de la reconstruction, un détail de ce genre montre que le château était considéré comme autre chose qu’un ouvrage de défense : la seule idée
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