Le bûcher de Montségur
château, était en fait partagée entre le châtelain et son gendre P.-R. de Mirepoix, et les deux hommes ne s’entendaient pas toujours entre eux – avaient leurs bailes, chargés de la surveillance des domaines. De plus, à part les personnes appartenant à la maison des chevaliers, Montségur abritait aussi des hôtes qui s’y étaient réfugiés par crainte de l’Inquisition, tels Raymond Marty, frère de l’évêque Bertrand, ou G.-R. Golayran, qui avait pris une part active au meurtre d’Avignonet.
À l’époque du siège le nombre des personnes enfermées dans le château s’élevait, comme nous l’avons dit, à environ trois cents, plus les parfaits. Ceux-là étaient très nombreux – entre cent cinquante et deux cents – ce qui n’a rien d’étonnant, puisque Montségur était le refuge officiel et le lieu saint de leur Église. Les chefs de l’Église cathare du Languedoc qui s’y étaient établis depuis 1232 n’avaient pas jugé utile de changer de résidence en voyant l’armée française au pied du mont : ailleurs, ils risquaient encore davantage d’être pris ; et il semble bien que Montségur ait déjà pris une telle importance aux yeux des hérétiques du pays que la fuite des bons hommes vers quelque autre lieu fût apparue comme une désertion. Ces hommes, qui niaient la réalité de toute apparence et de toute manifestation matérielle du sacré, voyaient leur sort mystérieusement lié à celui de ce vaisseau de pierre, de cette majestueuse cathédrale sans croix dressée sur un rocher en plein ciel : la force d’âme de leurs partisans venait peut-être du fait qu’ils défendaient autre chose que des vies humaines – leur temple, l’image terrestre de leur foi.
Le château était-il bien un temple ? Sa construction, comme nous l’avons dit, semblerait l’indiquer ; l’indiquer seulement, car personne n’a jamais parlé de cette forteresse comme d’une église. Les cathares qui, quoi qu’on en dise, ne faisaient nul mystère de leurs croyances, n’ont jamais prétendu détenir à Montségur quelque secret qui eût fait de ce lieu une exception à leur doctrine sur la matière. Ni Golgotha, ni Saint-Sépulcre, ni château du Graal.
Dans ce château fort qui possédait non pas une mais deux grandes portes et dont le donjon était percé (au premier étage) de fenêtres au lieu de meurtrières, le culte cathare devait évidemment être célébré avec plus de solennité qu’ailleurs. Mais ce que nous savons des rites cathares montre qu’ils étaient d’une extrême simplicité. Du reste, la salle du rez-de-chaussée du donjon – seul endroit où pouvaient avoir lieu les cérémonies et les prédications – était assez petite : cinquante mètres carrés environ, soit une surface qui, de nos jours, serait considérée comme à peine suffisante pour loger confortablement un jeune ménage. De telles dimensions ne se prêtent guère à de grandes solennités, ni à la réunion de foules d’auditeurs. Les prédications avaient peut-être lieu aussi dans l’enceinte pentagonale qui est en prolongement du donjon (600 m 2 ) ; mais cet espace devait être en grande partie occupé par les entrepôts de vivres, les écuries, les réserves d’armes et de projectiles et aussi par les habitations des défenseurs. Bref, c’était un temple des plus modestes, sinon des plus inconfortables. Il semble que les cathares, logiques avec eux-mêmes, se fussent choisi comme capitale un endroit qui n’avait pour lui que sa beauté et son caractère inaccessible.
Ce haut lieu, voué par l’Église aux flammes de l’enfer, vivait d’une vie religieuse intense, et sans doute en grande partie étrangère aux vicissitudes terrestres ; les bons hommes qui campaient dans leurs cabanes sous les murailles étaient probablement plus occupés à célébrer leur culte et à commenter les Évangiles qu’à suivre les progrès du siège. Cependant, la situation était grave : dès le mois de mai, le diacre Clamens, avec trois autres parfaits, était descendu de Montségur et était allé jusqu’à Causson, sans doute pour établir un contact avec des amis sûrs à qui l’on pourrait, le cas échéant, confier la garde du trésor. Clamens et ses compagnons revinrent à Montségur sans difficultés. Deux autres parfaits, R. de Caussa et son compagnon, descendirent également, à peu près à la même époque, pour se rendre au château d’Usson ; ils pratiquèrent l’
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