Le bûcher de Montségur
Hugues des Arcis engagea un détachement de routiers basques, montagnards hardis que le terrain de Montségur n’effrayait pas. Les Basques grimpèrent le long de la croupe de la montagne et prirent pied sur l’étroite plate-forme de la crête orientale, à quatre-vingts mètres en contrebas du château.
Il y eut sans doute des combats, car le sergent d’armes Guiraud Claret fut blessé mortellement fin octobre, et le chevalier Alzeu de Massabrac fut blessé également. Les Basques, assez nombreux, semble-t-il, tinrent bon, et les assiégés voyaient ainsi l’adversaire occuper une position avancée, presque à la hauteur du château, et contrôler la plus grande partie de la montagne et le seul chemin commode pour communiquer avec le dehors. (Il existait du reste d’autres chemins que les assiégés et leurs amis empruntèrent à maintes reprises, la paroi du mont, escarpée, rocheuse et couverte d’une forêt épaisse, étant pratiquement impossible à surveiller.)
En novembre, l’armée assiégeante, dont le moral venait d’être quelque peu remonté par le succès des Basques, vit arriver de nouveaux renforts amenés par l’évêque d’Albi, Durand. Cet évêque était un prélat énergique, qui, par ses discours et son exemple, relevait le courage des soldats ; de plus, et surtout, c’était un ingénieur habile, expert dans la construction de machines de guerre. Sous son impulsion, les soldats hissèrent, jusqu’à la plate-forme déjà occupée, des madriers et des poutres, et les tailleurs de pierre se mirent à l’œuvre pour préparer une provision considérable de boulets. La machine une fois montée, les Français purent bombarder la barbacane de bois qui, avançant sur la crête, protégeait les abords du château.
La situation des assiégés n’était pas encore désespérée : si l’ennemi pouvait, à présent, parvenir à hisser sur la crête des hommes et du matériel, et s’y établir solidement, l’espace qu’il occupait était étroit et dangereux, et ne permettait aucune manœuvre de grande envergure ; les assiégés contrôlaient toujours le sommet de la montagne et pouvaient communiquer avec le dehors : ayant appris que l’évêque d’Albi avait construit une machine pour bombarder Montségur, les partisans des cathares – lesquels ? la question a été discutée – dépêchèrent dans la citadelle assiégée un ingénieur, Bertrand de La Baccalaria, de Capdenac, qui, forçant le blocus, monta jusqu’au château et fit aussitôt élever, dans la barbacane de l’est, une machine qui pouvait répondre coup pour coup au tir de la pierrière de l’évêque. Sur le mince espace suspendu entre deux vides qu’ils occupaient, les uns et les autres, défenseurs et assaillants, étaient à peu près à égalité. Les assiégés avaient de plus l’avantage de pouvoir s’abriter dans le château, tandis que les Français campés sur la crête, autour de leur machine, souffraient du froid, de la neige et du vent, et il fallait sans doute beaucoup de courage à l’évêque Durand pour diriger le tir de sa machine et forcer ses hommes à tenir bon au milieu des bourrasques et des brouillards glacés. La fin décembre approchait, et les adversaires restaient toujours sur leurs positions d’octobre, les deux machines échangeant un tir plus ou moins serré de boulets.
Les croisés avaient sur les assiégés le considérable avantage de pouvoir sans cesse renouveler leurs effectifs de combattants ; la garnison de Montségur avait déjà perdu plusieurs hommes ; les renforts qu’elle recevait étaient minces – deux ou trois soldats de temps à autre ; les hommes d’armes étaient harassés, excédés par un siège qu’ils soutenaient depuis des mois ; si avantageuse que fût leur position, ils étaient une centaine contre six à dix mille ; eux, personne ne pouvait les remplacer ni les relayer, ils étaient bloqués sur un espace ridiculement étroit, avec un grand nombre de femmes, de vieillards et autres non-combattants ; et dans de telles conditions la vie en commun, même avec les plus saints hommes du monde, peut devenir intolérable.
Le courage de ces soldats n’était pas en cause, ils devaient tenir bon longtemps encore. Mais il faut croire que la lassitude commençait à les gagner ; au cours de ces mois d’hiver P.-R. de Mirepoix envoya plusieurs fois des messagers au-dehors pour savoir « si le comte de Toulouse menait bien ses affaires 183 ».
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