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Le bûcher de Montségur

Le bûcher de Montségur

Titel: Le bûcher de Montségur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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fille ; la loi qui depuis des siècles vouait au feu les hérétiques impénitents était si bien acceptée par tous que les pères, époux, frères ou fils qui devaient être séparés des leurs d’une façon aussi brutale ne pouvaient y voir que l’effet d’une aveugle fatalité, le résultat logique d’une défaite. Comment se fit le triage de ceux pour lesquels il ne pouvait y avoir de pardon ? Ils se désignèrent probablement eux-mêmes, se séparant des autres. Dans les circonstances où ils se trouvaient il était bien inutile de les faire passer par des interrogatoires serrés dans le but de leur faire avouer ce qu’ils n’avaient nulle intention de nier.
    Guillaume de Puylaurens écrit : « On les invita vainement à se convertir 195   ». Par qui et comment y furent-ils invités ? Il est probable que les deux cents et quelque hérétiques formaient un groupe à part, que les inquisiteurs et leurs aides firent sortir du château afin de les admonester, au moins pour la forme. La veille, Philippa de Mirepoix et Arpaïs de Ravat, les filles de Corba de Perella, firent leurs adieux à leur mère, qui venait d’accéder – pour un temps si court – à la dignité de parfaite. L’une des jeunes femmes, Arpaïs, sans oser entrer dans les détails, laisse deviner l’horreur de ce moment où sa mère, avec tous les autres, fut emmenée vers la mort : «… ils furent brutalement chassés du château de Montségur… 196   »
    À la tête des condamnés se trouvait évidemment l’évêque Bertrand Marty. Les hérétiques furent enchaînés et traînés sans ménagements le long de la pente qui séparait le château de l’endroit où avait été préparé le bûcher.
    Devant Montségur, sur la face sud-ouest du mont – la seule qui soit d’accès praticable – se trouve un espace découvert appelé aujourd’hui le champ des « Cramatchs » ou des crémats (des brûlés). Cet endroit se trouve à moins de deux cents mètres du château, et la pente à descendre est assez raide. G. de Puylaurens dit que les hérétiques furent brûlés « tout près au pied de la montagne », il est probable que ce fut au champ des Cramatchs.
    Pendant que là-haut les parfaits se préparaient à la mort et disaient adieu à leurs amis, une partie des sergents du camp français avait été employée pour le dernier travail de ce siège : l’élévation d’un bûcher suffisant pour consumer les corps de deux cents personnes – le nombre approximatif des condamnés devait être connu d’avance. « On éleva, dit G. de Puylaurens, une palissade de pals et de pieux 197   », ceci pour délimiter le bûcher ; à l’intérieur, d’innombrables fagots de bois, peut-être de la paille et de la résine, car au mois de mars le bois mort devait être humide et difficile à faire flamber. Pour une telle quantité de victimes on n’avait probablement pas eu le temps de dresser des poteaux pour y attacher les condamnés un par un ; en tout cas G. de Puylaurens se contente de dire qu’on les enferma dans la palissade.
    Les malades et les blessés durent être simplement jetés sur les fagots, les autres purent peut-être chercher à se rapprocher de leurs socii , de leurs parents… peut-être la dame de Montségur put-elle mourir aux côtés de sa vieille mère et de sa fille malade, les deux femmes de sergents d’armes à côté de leurs maris. Peut-être l’évêque put-il, au milieu des gémissements, du bruit des armes, des cris des bourreaux qui allumaient le feu aux quatre coins de la palissade, du chant des cantiques entonnés par les clercs, adresser à ses fidèles quelques dernières exhortations. Une fois les flammes bien prises, bourreaux et soldats durent se retirer à une certaine distance, pour ne pas souffrir de la fumée et de la chaleur répandues par l’immense bûcher. En quelques heures les deux cents torches vivantes entassées dans la palissade ne furent plus qu’un amas de chairs noircies, rougies, sanglantes, se calcinant toujours les unes contre les autres, et répandant une atroce odeur de brûlé dans toute la vallée et jusqu’aux murs du château.
    Les défenseurs restés dans la citadelle pouvaient voir, d’en haut, les flammes du bûcher monter, grandir, et s’éteindre peu à peu faute de nourriture, et les épaisses fumées noirâtres couvrir la montagne ; la fumée, âcre, nauséabonde, devait épaissir pendant que les flammes diminuaient. Dans la nuit le brasier

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