Le bûcher de Montségur
qu’était le meurtre des inquisiteurs ne devait pas être réprouvé outre mesure par les Français, qui commençaient peut-être à comprendre la situation du pays et les sentiments de la population indigène. Les soldats de Montségur n’étaient plus que des hommes qui avaient vaillamment combattu et qui avaient droit au respect de l’adversaire.
Une trêve était accordée à Montségur ; quinze jours, pendant lesquels la forteresse déjà rendue refusait encore à l’ennemi l’accès de ses portes. Quinze jours pendant lesquels, sur la foi de la parole donnée, les deux adversaires resteraient sur leurs positions, sans chercher à attaquer ni à fuir. La machine de l’évêque Durand s’était tue, les sentinelles n’avaient plus à guetter sur les remparts ; les soldats n’avaient plus à vivre dans l’attente perpétuelle d’une alerte. Montségur allait passer ses derniers jours de liberté dans la paix – si l’on peut appeler paix une attente de la séparation et de la mort, sous le regard vigilant de l’ennemi posté dans sa tour à moins de cent mètres du château.
À côté des heures tragiques qu’ils venaient de vivre c’était, pour les habitants de Montségur, la paix ; pour beaucoup, un dernier répit. On a pu se demander pourquoi les assiégés exigèrent ce délai, qui prolongeait inutilement une existence devenue intenable. Peut-être cette demande s’explique-t-elle par le fait que l’archevêque de Narbonne et Frère Ferrier ne pouvaient prendre sur eux la responsabilité d’absoudre les assassins des inquisiteurs et ont jugé nécessaire de s’en référer au pape ? Il est plus probable que le délai ait été demandé par les assiégés eux-mêmes, dans le but de rester encore avec ceux des leurs qu’après la reddition du château ils ne devaient plus revoir. Il est très probable (comme le suggère F. Niel) que l’évêque Bertrand Marty et ses compagnons aient voulu, avant de mourir, célébrer une dernière fois la fête qui correspondait pour eux à celle de Pâques. On sait que les cathares célébraient cette fête, puisqu’un de leurs grands jeûnes précédait justement Pâques.
Faut-il croire que sous ce nom ils désignaient la fête manichéenne de la Bema , qui se situait à peu près à la même époque de l’année ? Aucun document ne permet de l’établir avec certitude et, comme nous l’avons vu, le rituel cathare qui cite avec tant d’insistance et si abondamment les Évangiles et les Épitres, ne mentionne pas une seule fois le nom de Manès. Cette religion aurait-elle eu deux enseignements distincts et le consolamentum , tenu pour le sacrement suprême, ne serait-il qu’une manifestation de piété réservée aux non-initiés ? Il semble assez difficile de l’admettre ; le catharisme, manichéen par sa doctrine, était profondément chrétien quant à la forme et à l’expression de sa pensée. Les cathares vénéraient trop exclusivement le Christ pour pouvoir accorder dans leur culte une place importante à Manès. Cependant, on manque de données qui pourraient faire comprendre ce que représentait exactement pour eux la célébration de la fête de Pâques, ou celle de la Bema.
Il est vraisemblable aussi, et humain, qu’avant de se séparer à jamais, les uns et les autres aient voulu s’accorder ce répit suprême. Ce n’était vraiment pas trop. Et il était sans doute difficile d’obtenir davantage.
Des otages furent livrés, dans les premiers jours de mars. C’étaient, comme il ressort des interrogations, Arnaud-Roger de Mirepoix, vieux chevalier, parent du chef de la garnison ; Jordan, fils de Raymond de Perella ; Raymond Marty, frère de l’évêque Bertrand ; d’autres dont on ignore les noms, la liste des otages n’ayant pas été retrouvée.
Certains auteurs ont cru que Pierre-Roger de Mirepoix lui-même se serait retiré du château avant la fin de la trêve, voire avant la signature de l’acte de capitulation. Cette supposition n’est guère vraisemblable, puisque d’après la déposition d’Alzeu de Massabrac, Pierre-Roger se trouvait encore dans la forteresse le 16 mars. On sait qu’ensuite il se retira à Mongaillard, puis on perd sa trace, pour dix ans. Le silence qui s’est fait autour de son nom a peut-être contribué à le faire accuser sinon de trahison, du moins de désertion ? Il est pourtant logique de penser que les vainqueurs devaient trouver gênante la présence du principal
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