Le bûcher de Montségur
perdant son indépendance, et comment tracer la limite entre les particularismes régionaux et les légitimes aspirations nationales ? En définitive, la raison du plus fort finit toujours par paraître la meilleure, ce qui est étant toujours plus réel que ce qui eût pu être.
La royauté française sortait de l’épreuve plus forte, plus consciente que jamais de son droit divin ; elle allait bientôt tenir tête à la papauté qui l’avait servie et s’était servie d’elle. Afin d’extirper l’hérésie, l’Église s’était exposée au danger de voir son trop puissant allié empiéter sur sa puissance temporelle.
Ce danger-là, l’Église catholique ne l’avait certes pas ignoré : ses luttes contre l’Empire et sa toute récente expérience avec Frédéric II le lui avaient fait mesurer pleinement ; le péril que représentait à ses yeux l’hérésie était plus terrible encore. Mais si, grâce à l’Inquisition, la papauté finit par avoir raison du catharisme, puis des divers autres mouvements hérétiques qui surgirent aux XIII e et XIV e siècles, cette victoire devait lui coûter cher. La gifle d’Anagni ne devait pas atteindre l’Église dans sa dignité essentielle, elle ne fut qu’un des épisodes de l’incessant combat que l’Église était obligée de mener pour la sauvegarde de son indépendance matérielle et morale. Mais le régime de terreur policière que l’Inquisition sut, pendant plusieurs siècles, imposer aux peuples d’Occident, allait saper de l’intérieur l’édifice de l’Église et amener un abaissement terrible du niveau moral de la chrétienté et de la civilisation catholiques.
Avant la croisade des Albigeois, avant l’Inquisition, des voix d’évêques et d’abbés s’élevaient encore pour protester contre les bûchers d’hérétiques, pour prêcher la miséricorde envers les frères égarés ; au XIII e siècle, saint Thomas d’Aquin trouve, pour justifier ces mêmes bûchers, des paroles inadmissibles dans la bouche d’un chrétien. Des excès que l’on pouvait, autrefois, imputer à l’ignorance et à la rudesse des mœurs de l’époque, étaient à présent approuvés, consacrés en chaire de théologie par un des plus grands philosophes de la chrétienté. Ce fait est trop grave pour être minimisé : à partir du XIII e siècle, il n’y eut plus, dans l’Église catholique, de saints ni de docteurs assez hardis pour proclamer qu’un homme qui se trompe en matière de religion est (comme le disait par exemple au XII e siècle sainte Hildegarde 198 ) une créature de Dieu, et qu’il est criminel de lui ôter la vie. L’Église qui oubliait aussi résolument cette vérité pourtant si simple ne méritait plus le nom de catholique, et dans ce sens on peut dire que l’hérésie avait porté à l’Église un coup dont celle-ci ne devait pas se remettre.
La victoire était trop chèrement payée : si même (ce qui n’est pas sûr) l’Église romaine, en sévissant comme elle l’a fait contre l’hérésie, a épargné à la chrétienté occidentale des troubles graves qui eussent peut-être amené la ruine de tout l’édifice social et culturel, elle n’y est parvenue qu’au prix d’une capitulation morale dont aujourd’hui encore elle subit les conséquences.
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198 In Hildeg. Epist. 139.
APPENDICES
II
DISCOURS PRÉLIMINAIRE
ADRESSÉ PAR L’ANCIEN
AU RÉCIPIENDAIRE
Pierre 215 , vous voulez recevoir le baptême spirituel par lequel est donné le Saint-Esprit dans l’Église de Dieu, avec la sainte oraison, avec l’imposition des mains des bons hommes. De ce baptême, Notre-Seigneur Jésus-Christ dit dans l’évangile de saint Matthieu (XXVIII, 19-20) à ses disciples : « Allez et instruisez toutes les nations et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Et enseignez-leur à garder toutes les choses que je vous ai commandées. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la consommation du siècle. » Et dans l’évangile de saint Marc (XVI, 15), il dit : « Allez par tout le monde, prêchez l’Évangile à toute créature. Et qui croira et sera baptisé sera sauvé, mais qui ne croira pas sera condamné. » Et dans l’évangile de saint Jean (III, 5), il dit à Nicodème : « En vérité, en vérité, je te dis qu’aucun homme n’entrera dans le royaume de Dieu s’il n’a été régénéré par l’eau et le Saint-Esprit. » Et saint
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