Le bûcher de Montségur
leur doctrine telle qu’ils la concevaient et que les « erreurs » que leur reproche l’Église catholique n’étaient peut-être que des aspects secondaires de leur enseignement : une cosmogonie et une philosophie de l’univers et de la vie, plutôt qu’une véritable matière de foi.
Si l’on juge une religion à ses prières et à ses rites (ce qui est encore le meilleur moyen de juger de son essence véritable), le peu que nous savons de la religion cathare ne peut que nous forcer à nous incliner devant sa simplicité, sa sobriété, son élévation spirituelle. Ce « rituel » échappé à la destruction par miracle a infiniment plus de poids en lui-même que tout ce qui a été dit et écrit sur les cathares depuis des siècles, sur les affirmations de leurs adversaires.
III – ORGANISATION ET EXPANSION
La religion cathare cherchait à appliquer à la lettre les enseignements de sa doctrine. La voie du salut est étroite, et semble n’être réservée qu’à une minorité d’élus. Mais là, l’Église cathare rejoint d’une façon inattendue l’Église catholique, à la fois dans sa mansuétude pour les faibles et dans sa foi en la valeur absolue des sacrements : les cathares, tout comme les catholiques, posent, comme condition nécessaire du salut, un acte de caractère sacramentel – la réconciliation avec l’Esprit par l’imposition des mains donnée par des ministres du culte qui ont déjà reçu l’Esprit. Il ne s’agit pas là d’un geste symbolique ; le rite du consolamentum a bien, pour les cathares, une vertu surnaturelle, il fait réellement descendre l’Esprit Saint sur la personne qui en est la bénéficiaire. Quel que soit l’état de sainteté de l’officiant, c’est bien l’acte matériel de l’imposition des mains qui confère l’Esprit Saint, et c’est cet acte qui est la clef et le centre de la vie de l’Église cathare.
Que les cathares admettent ou non le principe de la succession apostolique, ils soutiennent que l’Esprit ne peut être transmis que par des mains pures ; mais ils posent comme postulat la pureté de leurs ministres, et les cas sont rares où le consolamentum est jugé sans valeur par suite de l’indignité de l’officiant. L’Esprit descend réellement sur l’homme qui le reçoit, et cet homme, dès lors, devient un « chrétien » et meurt à ce monde pour renaître à la vie de l’Esprit. Il doit se soumettre sans restrictions ni compromis à toutes les obligations imposées par la religion nouvelle, et ces obligations sont plus dures que celles d’un moine qui reçoit les ordres sacrés. Seule une infime minorité de croyants pouvait se résoudre à gagner son salut de cette façon-là. Mais l’Église cathare admet également le consolamentum à l’article de mort, et l’on voit donc un grand nombre de personnes recevoir le sacrement sans autres garanties de la pureté de leur foi que la conscience d’une mort prochaine. Le sacrement pouvait donc être accordé à des gens qui ne seraient pas, à priori, des élus et des purs, et là, la religion cathare semble encourir le reproche qu’elle fait au catholicisme : celui de faire du sacrement une opération mécanique, indépendante de l’état spirituel de celui qui la reçoit. Si le principe est essentiellement le même, du moins les cathares ont-ils su conférer à leur sacrement la majesté nécessaire, en faisant de lui un don précieux et unique qu’à moins du sacrifice total de sa vie à Dieu un homme ne peut obtenir qu’au moment où les souffrances l’ont déjà détaché du monde.
L’Esprit une fois descendu sur le croyant, celui-ci est déjà une créature nouvelle, à partir de ce moment la faute la plus légère devient un sacrilège qui risque de lui faire perdre l’Esprit dont il est « revêtu ». En pratique, on a pu citer des cas de « parfaits » consolés plusieurs fois dans leur vie, à la suite soit de quelque faute, soit d’un affaiblissement de leur foi. Ceci semble prouver que ce sacrement n’avait pas le caractère inexorable qu’on lui prête habituellement.
Le consolamentum , qui correspondait à la fois aux sacrements du baptême, de l’eucharistie, de la confirmation, de l’ordre et de l’extrême-onction, était une cérémonie très simple. Il était précédé d’une longue période de probation ou d’initiation, et le postulant devait rester quelque temps – un an, parfois deux ans – dans une maison de
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