Le bûcher de Montségur
de tissage qui sont en même temps des centres d’éducation de la jeunesse et des maisons de préparation au noviciat. De plus, un très grand nombre de femmes nobles abandonnent leurs maisons et leurs biens à la communauté et fondent ainsi de véritables couvents où elles élèvent les filles de croyants nécessiteux et les filles de nobles qui veulent consacrer leurs enfants au service de Dieu. Dans les montagnes de l’Ariège se forment des ermitages où des veuves, des jeunes filles désireuses de garder une virginité perpétuelle et même des femmes mariées, qui se sont séparées de leurs maris pour mieux servir Dieu, se réunissent et vivent dans des grottes ou de petites cabanes isolées, s’abandonnant à la méditation et à la prière ; et ces communautés de recluses acquièrent dans le pays une grande réputation de sainteté.
On a souvent remarqué l’importance du rôle joué par les femmes dans les communautés cathares. Ceci n’a rien de surprenant. D’abord, c’est là un fait constaté lors de l’apparition de toute religion nouvelle, un grand prédicateur déchaîne infailliblement une vague d’enthousiasme collectif – nous dirions presque hystérique – auquel les femmes sont plus sujettes que les hommes. Non seulement tout propagandiste zélé d’une nouvelle secte religieuse, mais même tout prêtre possédant une personnalité marquante, se voit aussitôt entouré d’un groupe de femmes exaltées et dévouées prêtes à accueillir tous ses discours comme paroles d’Évangile. N’oublions pas que, dans ce même Languedoc hérétique, ce sont les femmes, plus que les hommes, que la prédication de saint Dominique a touchées. Il en a été de même pour les parfaits cathares : les femmes ont, en général, été plus ardentes que les hommes dans leur acceptation de la nouvelle foi et ont souvent entraîné leurs maris, plus tièdes ou plus prudents.
De plus, dans le Midi de la France, la femme jouissait d’une indépendance morale plus grande que dans les pays du Nord. Si le respect de la femme était, depuis plus d’un siècle, un des lieux communs de la littérature, c’est que la femme avait su depuis longtemps se faire respecter. C’est du pays occitan que la tradition de l’amour courtois s’est répandue à travers toute l’Europe, et si les seigneurs du Midi n’étaient pas toujours chevaleresques dans leurs actes, ils l’étaient du moins en paroles. On se souvient de la fameuse phrase adressée par frère Étienne de Minia, compagnon de saint Dominique, à Esclarmonde, sœur du comte de Foix : « Allez filer votre quenouille, Madame, il ne vous sied pas de prendre la parole sur de telles matières 25 ! » On imagine sans mal l’étonnement, le mépris indigné de cette très grande dame, souveraine sur ses terres, âgée, veuve, six fois mère, et parfaite vénérée de tous les croyants, remise ainsi à sa place par cette grossière apostrophe. Il fallait assurément être un étranger et un rustre pour se permettre un langage pareil. Les dames du Languedoc (pas plus que celles de France, d’ailleurs) ne tenaient nullement à être renvoyées à leurs quenouilles, elles étaient souvent plus cultivées que leurs maris. Il en était ainsi dans la société laïque ; dans la société religieuse catholique elles étaient mineures par définition.
La religion cathare, en niant la réalité des sexes comme elle niait la réalité de toute vie chamelle, proclamait implicitement l’égalité de l’homme et de la femme. Il est vrai que le catholicisme ne la niait pas non plus, mais il restait, dans la pratique, une religion résolument anti-féministe. Le catharisme l’était infiniment moins : les femmes qui avaient reçu l’Esprit avaient, comme les hommes, le pouvoir de le transmettre par l’imposition des mains, bien qu’en général elles ne le fissent que dans les cas extrêmes, et beaucoup moins souvent que les hommes. On ne voit pas de femmes parmi les évêques et les diacres cathares ; la part active de l’apostolat est réservée aux hommes, plus aptes à supporter les dangers et les fatigues d’une vie vagabonde. Les parfaites jouissent néanmoins d’une grande considération, et certaines sont considérées comme les véritables mères de leurs communautés.
Les femmes sont moins nombreuses que les hommes, parmi les parfaits ; mais à peine moins. En parlant des hérétiques revêtus capturés par les croisés, les
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