Le bûcher de Montségur
historiens de l’époque ne nous disent pas les chiffres exacts, mais il ne semble pas qu’il y ait eu une prédominance écrasante du côté des hommes. Ces « bonnes chrétiennes » exercent surtout leur apostolat auprès des femmes croyantes ; comme nous l’avons vu, elles s’occupent beaucoup de l’éducation des filles, elles sont souvent aussi gardes-malades ou médecins, car les femmes, à cette époque, préfèrent être soignées par des femmes. Enfin, plus souvent que les parfaits, elles s’adonnent à la vie contemplative.
Les femmes simplement croyantes semblent en revanche avoir été plus nombreuses que les hommes, et en tout cas plus hardies. De la grande dame entourée de poètes et d’admirateurs à la veuve qui consacre sa vie aux prières et aux œuvres de bienfaisance, en passant par la femme du peuple qui sert les bons hommes à table et parcourt le pays en portant leurs messages, les femmes croyantes se font en général remarquer plus que les hommes, et ceci pour une raison assez évidente : les hommes, même croyants dans le fond du cœur, ont des obligations professionnelles, sociales, militaires, auxquelles ils ne peuvent renoncer. Dans une société où une grande partie des relations humaines reposait sur l’usage du serment, les hommes ne pouvaient professer trop ouvertement une religion qui défend le serment. Les femmes, plus libres sur ce point, pouvaient se consacrer à leur activité religieuse sans faillir à leurs autres obligations.
De plus, même avant la croisade, la simple prudence pouvait engager les hommes à ne pas faire trop parade de leurs convictions : si le comte et la majorité des grands féodaux du pays étaient favorables à l’hérésie, cela pouvait ne pas durer et l’Église de Rome était toujours puissante, et détenait une partie des fonctions administratives du pays. C’est pourquoi on voit souvent les hérétiques reçus dans les maisons des femmes (telles Blanche de Laurac, Guillelmine de Tonneins, Fabrissa de Mazeroles, Ferranda, Serrona, Na Baiona, etc.). Les pères, frères, maris sont ainsi couverts devant la loi, l’hérésie n’étant que tolérée, non reconnue officiellement. Ainsi verra-t-on plus tard le comte de Foix, protecteur des hérétiques, mari et frère de parfaites, rejeter toute responsabilité au sujet des agissements de sa sœur Esclarmonde, hérétique notoire : « Si ma sœur fut mauvaise femme et pécheresse, je ne dois point périr à cause de son péché… 26 » Ce qui ne veut pas dire que les hommes, à l’occasion, manifestaient moins de zèle pour leur foi que les femmes.
IV – ASPECTS SOCIAUX ET MORAUX DU CATHARISME
Ce qui a été dit au sujet de la moralité ou plutôt de l’immoralité des croyants cathares est assez important pour que l’on s’y arrête plus longuement, car la plupart des adversaires de la religion cathare l’ont précisément attaquée sur ce terrain. La valeur profonde d’une religion étant jugée par ses effets sur le comportement de ses fidèles, ceux qui avaient à lutter contre le catharisme ne pouvaient pas proclamer que cette hérésie rendait ses adhérents charitables et vertueux. C’est pourquoi ils parlent sans cesse de l’hypocrisie des parfaits et des mauvaises mœurs de leurs croyants.
Pour ce qui est des parfaits, leur attitude devant la mort les lave à jamais de tout soupçon d’hypocrisie ; et pourtant leur austérité a paru si étrange aux contemporains catholiques qu’ils ont été maintes fois accusés de vices secrets et honteux, et notamment d’homosexualité (accusation qui s’explique par le fait que les parfaits, hommes ou femmes, vivaient deux par deux et ne se séparaient jamais de leur socius ou socia ). Même en admettant la pureté des mœurs des parfaits, les polémistes catholiques la trouvent peu naturelle, et attribuent à ces ascètes des sentiments d’aigreur et d’envie à l’égard de ceux qui n’ont pas renoncé aux joies du monde ; ce qui donnerait à croire que la majorité des prêtres et des moines de ce temps-là étaient très loin de pratiquer la chasteté et la pauvreté, car s’il en était autrement les vertus des ministres cathares n’eussent étonné personne.
Or, dans une société où même les clercs ne donnaient pas, tant s’en faut, l’exemple des vertus (ainsi qu’en témoignent les écrits des papes, abbés, évêques, sans parler de la littérature profane), peut-on croire que les laïcs
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