Le bûcher de Montségur
leurs provisions, faisaient un fâcheux contraste avec l’austère simplicité des ministres cathares. « Voyez, disait-on, les ministres à cheval d’un Dieu qui n’allait qu’à pied, les missionnaires riches d’un Dieu pauvre, les envoyés comblés d’honneurs d’un Dieu humble et méprisé 43 . »
Cette mission d’avance condamnée à l’échec allait recevoir un secours inattendu en la personne de religieux espagnols qui, brûlant d’un zèle apostolique, revenaient de Rome, où le pape venait de leur refuser la permission de se rendre en Russie méridionale pour évangéliser les païens coumans. Sans doute, Innocent III pensait-il que ces aspirants missionnaires seraient mieux employés dans le Languedoc. En août 1205, les légats rencontrent à Montpellier l’évêque d’Osma, don Diego de Acebes, accompagné du sous-prieur de son chapitre, Dominique de Guzman. Le vieil évêque et son encore jeune compagnon (Dominique avait 35 ans à l’époque) offrent aux légats leur concours dans la lutte contre l’hérésie. Ils font mieux, ils leur donnent des conseils pratiques. Le conseil venait peut-être un peu tard, mais il était excellent en soi : les missionnaires espagnols conseillent aux légats et à leurs envoyés de descendre de cheval, de renoncer à leur escorte, de ne plus se faire recevoir et loger avec les honneurs dus à leur rang, mais d’aller à pied, de vivre d’aumônes, de ne garder comme signe de leur dignité que leur habit de moine, comme provisions de route que leur livre d’Heures et les ouvrages indispensables à la controverse.
Ceux qui avaient déjà vu l’abbé de Cîteaux entouré des honneurs dus à un prince de l’Église ont pu être étonnés de le voir changer de costume et l’accuser, non sans raison, d’être un « loup déguisé en agneau », car les missionnaires cathares n’avaient attendu les conseils de personne pour pratiquer la pauvreté. De la part du légat et des douze abbés qu’il avait ramenés en 1207 après réunion du chapitre de l’ordre, une telle attitude n’était réellement qu’un habile moyen de propagande : on verra plus tard qu’Arnaud-Amaury n’avait pas le moindre penchant pour l’humilité ni la pauvreté. Il n’en était pas de même pour les religieux espagnols.
Canonisé treize ans après sa mort, Dominique de Guzman jouissait déjà de son vivant d’une réputation de sainteté. Les renseignements que nous possédons sur sa vie nous ont été transmis par des disciples enthousiastes, donc enclins à exagérer les mérites de leur héros ; mais il est certain que, dès sa jeunesse, Dominique avait dû impressionner ses frères et ses supérieurs par l’ardeur de sa foi et la vigueur de son intelligence. Avec son futur évêque, Diego de Acebes, il prend une part active à la réforme de l’office canonial dans son diocèse ; en 1201, il est nommé prieur et chef du chapitre.
Nous avons vu qu’il rêvait de convertir à Dieu les âmes des païens, et que, seul, l’ordre formel du pape l’avait détourné de cette entreprise pour faire de lui le missionnaire des hérétiques. Certes, l’Église ne manquait pas de prédicateurs ardents, mais l’action de Dominique fut la seule à conduire à des résultats pratiques. Comme le dit Guillaume de Puylaurens : « Il a fallu que l’hérésie se manifestât dans notre temps et dans notre pays, afin d’y faire naître l’ordre vénéré des dominicains, qui a porté des fruits si abondants et si utiles, moins encore chez nous que dans l’univers entier 44 . »
II – SAINT DOMINIQUE, SON APOSTOLAT ET SON ÉCHEC
Ce grand mouvement de réforme religieuse, auquel les événements devaient donner un caractère sinistre en l’associant à l’Inquisition, prit naissance sur les routes pierreuses du Languedoc, où deux hommes marchant pieds nus dans la poussière, sous un brûlant soleil d’été, allèrent un jour mendier le droit d’être écoutés en même temps que leur pain quotidien.
L’évêque d’Osma, âgé et fatigué, devait, un an après, rentrer en Espagne pour y mourir. Il accompagna pourtant Dominique dans la plupart de ses voyages et prit part aux conférences contradictoires de Servian, de Béziers, de Carcassonne, de Verfeil, de Montréal, de Fanjeaux, de Pamiers. Entre ces conférences publiques auxquelles étaient invités les chefs de l’Église cathare, Dominique parcourt inlassablement le pays, visite villages, bourgs et
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