Le bûcher de Montségur
les évêques, le roi parlent de chasser les hérétiques , ils est bien entendu que ce terme ne désigne pas toutes les personnes qui adhèrent a une secte hétérodoxe. Les croyants, même jugés et condamnés pour fait d’hérésie, ne seront jamais des hérétiques ; ce mot, dans le langage de l’époque, équivaut au titre de parfait, plus particulièrement de parfait cathare. Il est si bien compris dans ce sens que les inquisiteurs appellent « hérésiarques » les évêques cathares, pour les distinguer des simples parfaits. Si sur la grande masse des croyants nous ne savons à peu près rien – les personnes interrogées par l’Inquisition étaient, à titres divers, des membres actifs de la secte, donc une minorité –, nous sommes mieux renseignés sur les parfaits.
Mais ces renseignements sont extrêmement secs et monotones. Ils se réduisent à peu près à ceci : en telle année, en tel endroit, le diacre ou le parfait un tel a prêché devant telles personnes, ou accordé le consolamentum à telles autres. Il a été reçu dans la maison de tel croyant, a reçu des dons de tel autre. Des noms, des lieux, des dates. Encore les registres de l’Inquisition ne nous sont-ils pas tous parvenus, un grand nombre ayant été détruits à l’époque par les intéressés eux-mêmes, d’autres s’étant dégradés ou perdus dans les bibliothèques et les archives. Mais même incomplets ces documents donnent déjà une idée impressionnante de l’activité de l’Église cathare tant pendant la croisade que dans les années qui suivirent.
D’abord, nous pouvons constater que, malgré la guerre qui ravageait le pays, malgré les bûchers de Minerve et de Lavaur, les diverses églises cathares avaient continué leur activité et se trouvaient en 1225 aussi organisées qu’avant la croisade. En cette année le Languedoc comptait quatre églises ou plutôt diocèses, celui d’Albi, celui de Toulouse, celui de Carcassonne et celui d’Agen ; et en 1225, au concile de Pieusse, fut créé un nouveau diocèse, celui du Razès, dont Benoît de Termes fut élu évêque. Les circonstances de la création de cet évêché montrent à quel point l’Église cathare faisait déjà partie organique de la vie du pays : les habitants du Razès, en effet, se plaignaient des difficultés occasionnées par le fait qu’une partie de leur province relevait de l’évêché de Toulouse, l’autre de l’évêché de Carcassonne ; le concile résolut de donner satisfaction aux demandes de ces fidèles, et il fut décidé que l’évêque de Carcassonne choisirait parmi ses diacres le nouvel évêque, qui serait consacré par l’évêque de Toulouse. On imaginerait difficilement une situation semblable si l’Église cathare se fût composée d’hommes contraints à se cacher et tremblant d’être accusés d’hérésie.
Après la mort de Simon de Montfort, l’hérésie avait reparu au grand jour, et en 1225, année du concile de Pieusse, elle se préoccupe de questions hiérarchiques et administratives tout comme une Église officiellement reconnue. En 1223 le légat Conrad de Porto, en convoquant les prélats français au concile de Sens, écrit que les cathares de Bulgarie, de Croatie, de Dalmatie et de Hongrie viennent d’élire un nouveau pape, et que l’émissaire de ce pape hérétique, Barthélémy Cartès, est arrivé en Albigeois où il ordonne des évêques et attire des foules de fidèles. L’existence d’un « pape » bulgare est fort improbable, mais il est significatif de voir les cathares du Languedoc renouer leurs liens avec la plus ancienne et la plus vénérée des Églises manichéennes, et y puiser des forces nouvelles. Eux aussi avaient besoin de se sentir membres d’une fraternité universelle. Vers cette époque, craignant le retour des persécutions, beaucoup d’hérétiques commencèrent à s’assurer des lieux de refuge dans des provinces moins éprouvées où leurs églises jouissaient d’une paix relative : en Lombardie ou même en Orient. D’autre part, certains indices montrent que les cathares d’Orient n’oubliaient pas leurs frères persécutés.
Si les pouvoirs publics semblent ignorer l’Église cathare, s’ils nient même son existence, ils le font dans des buts politiques faciles à comprendre ; s’ils ne font rien pour lutter contre elle, alors que leurs intérêts vitaux et l’indépendance même du pays sont enjeu, c’est que l’hérésie est
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