Le bûcher de Montségur
l’activité de saint Dominique dans le Languedoc. La fondation du monastère de Prouille à quelques kilomètres du grand centre cathare de Fanjeaux ne manquait pas de hardiesse à l’époque où les hérétiques étaient les maîtres de la région. Trois ans plus tard la croisade renversait la situation, et les ennemis de saint Dominique étaient persécutés eux-mêmes et privés de leurs terres ; Simon de Montfort, qui vénérait le chanoine d’Osma, attribuait au nouveau monastère une partie des domaines confisqués sur les seigneurs de Laurac, maîtres de Fanjeaux. Les mêmes seigneurs devaient reprendre leurs terres après la victoire de Raymond VII. Mais les moines de Prouille jouissaient déjà de la protection toute spéciale de la papauté, et leurs frères avaient essaimé des communautés non seulement dans le Languedoc, mais à travers toute l’Europe.
Saint Dominique a été, incontestablement, un des chefs de la lutte contre l’hérésie dans le Languedoc, peut-être même le vrai grand chef spirituel ; pendant la croisade, les légats étaient trop pris par la guerre et la diplomatie pour avoir le temps de s’occuper des hérétiques ; parmi les évêques, le seul qui ait fait preuve d’énergie dans la lutte contre l’hérésie a été Foulques de Toulouse, et il a été, dès le début, aidé et peut-être inspiré par saint Dominique. Un historien éminent comme Jean Guiraud suggère même que ce dernier ne fut pas étranger à la création de la Confrérie blanche de Toulouse ; l’évêque et le chanoine de Prouille étaient animés du même zèle pour la foi et du même esprit combatif.
Pendant dix ans, saint Dominique avait exercé dans le Languedoc un apostolat que les progrès de la croisade rendaient à la fois équivoque et moralement pénible ; il est à supposer que les Frères prêcheurs se recrutaient parmi les plus fanatiques des catholiques et non parmi les hérétiques convertis. En tout cas, après avoir laissé Prouille sous la direction des Frères Claret et Noël, Dominique s’installa à Toulouse même, où il devint le plus fidèle auxiliaire de l’évêque. En juillet 1214, Foulques établit un acte par lequel, « pour extirper l’hérésie et éliminer le vice, enseigner la règle de la foi…, nous établissons prêcheurs dans notre diocèse frère Dominique et ses compagnons 144 ».
Dominique faisait partie de la suite de l’évêque forcé à l’exil, et nous l’avons vu, à Muret, se distinguer par l’ardeur avec laquelle il priait pour la victoire des croisés, invoquant Dieu avec des clameurs et des supplications. Le fougueux prédicateur, que sa mère dans un rêve prophétique avait vu sous la forme d’un chien aboyant (contre les ennemis de Dieu), ne pouvait rester inactif dans l’attente du triomphe des armées du Christ ; il continuait son œuvre de prédication, et formait les cadres de son ordre futur ; il groupait autour de lui des hommes ardents et intrépides, dévoués corps et âme à l’œuvre de prédication et d’extermination de l’hérésie.
Protégé par l’évêque de Toulouse qui lui confiait tout spécialement l’office de la prédication, il était, en outre, investi par le légat Arnaud du pouvoir d’inquisition, c’est-à-dire qu’il était reconnu pour une autorité compétente en matière d’orthodoxie ; il lui appartenait de « convaincre » les hérétiques, et aussi de déclarer absous et réconciliés ceux qui se convertissaient ; de leur imposer des pénitences et de leur délivrer des certificats prouvant leur retour dans le sein de l’Église. Si nous ne possédons qu’un seul de ces certificats (il y en eut peut-être davantage…), nous possédons des témoignages de diverses personnes converties pendant la croisade, en 1211, en 1214, en particulier dans la région de Fanjeaux. Ses biographes 145 signalent un autre fait qui montre que saint Dominique était en rapports directs avec la justice ecclésiastique et qu’il procédait à l’interrogatoire de personnes inculpées d’hérésie ; en effet, plusieurs hérétiques qui avaient, malgré les objurgations du saint, persisté dans leurs erreurs, devaient être livrés au bras séculier et, Dominique ayant regardé l’un d’eux, comprit qu’il pouvait être ramené à Dieu et intervint pour lui épargner le bûcher ; et cet hérétique endurci devait réellement se convertir vingt ans plus tard 146 . Cet acte de clémence de
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