Le bûcher de Montségur
saint Dominique nous fait supposer qu’il eût pu, s’il l’avait voulu, sauver du bûcher les autres condamnés, en espérant qu’ils se convertiraient un jour, dans cinq, dix ou vingt ans. Étant donné son caractère intrépide, il semble peu probable qu’il ait refusé d’intervenir en faveur de ces malheureux par crainte du légat ou par peur d’affaiblir l’autorité de l’Église. Pour excuser un homme qui a le pouvoir de sauver son prochain d’une mort atroce, et n’use pas de ce pouvoir dans toute la mesure du possible, on peut invoquer soit la lâcheté, soit une grande dureté de cœur, soit un fanatisme poussé à l’extrême ; s’il est difficile d’excuser un tel homme, il est encore plus difficile de l’admirer.
Ce fut en lui, pourtant, que devait s’incarner la résistance catholique à l’hérésie, et son esprit devait dominer l’ordre des Frères prêcheurs qu’il avait créé et qui allait faire en quelques années des progrès foudroyants. À sa mort, en 1221, son ordre compte de nombreux couvents et jouit de la plus grande faveur du Saint-Siège. Nous aurons maintes fois l’occasion de revenir sur cet ordre, sur l’esprit qui l’animait et l’histoire de son développement. Un fait est certain : il est né de la croisade, et devait rester longtemps imprégné du souvenir de ces années sanglantes ; il n’avait pas été créé pour apporter l’apaisement des esprits, et ne prêchait ni la charité ni le pardon.
La croisade du roi Louis avait plongé le Languedoc renaissant et encore meurtri dans un désespoir dont seules peuvent rendre compte les innombrables défections, les capitulations en masse, qui, en quelques mois, livrèrent à l’armée royale plus de la moitié du pays. Ce désespoir dut être de courte durée, la résistance se réorganisa rapidement, la mort du roi permit de nouveau tous les espoirs et les Français installés dans la place ne s’y maintenaient qu’à grand-peine, grâce aux renforts envoyés de France. Mais le légiste qu’était Romain de Saint-Ange avait eu le temps, au cours de la brève campagne de 1226, de réorganiser la conquête royale sur le modèle des statuts de Pamiers, en renforçant encore les mesures prises contre les hérétiques. Là où les Français ne sont pas les maîtres, ces nouvelles lois sont lettre morte ; mais la chasse aux hérétiques a recommencé depuis 1226 : l’évêque cathare de Carcassonne, Pierre Isam, est brûlé à Caunes et le diacre Gérard de La Mothe brûlé après la prise de La Bessède. La croisade a recommencé ; et si le pays est plus décidé à résister qu’en 1209, il est trop épuisé pour tenir longtemps.
Grâce à la croisade, le Languedoc est devenu plus « hérétique » que jamais ; du moins, la guerre l’avait-elle réduit à un état de faiblesse assez grand pour que la véritable répression de l’hérésie fût enfin possible. Le roi, ou plutôt la régente, songeait sans doute avant tout à s’annexer une province avec le concours de l’Église. Pour l’Église, l’hérésie représentait un tel danger qu’elle se souciait peu de l’incalculable dommage matériel et moral que cette annexion pouvait causer au pays. Le malheur des temps avait voulu que, suivant les douloureuses paroles de Dante au sujet de Foulques, les bergers fussent transformés en loups.
Et il semble bien que pour le Languedoc, l’Inquisition ait été un malheur plus grand encore que l’annexion royale.
III – LE TRAITÉ DE MEAUX
Après vingt ans de guerre, le Languedoc fut réuni à la France de la façon la plus traditionnelle, en apparence la plus légale du monde : par le mariage de l’héritière du comté de Toulouse avec un frère du roi de France. Si, au lieu d’une fille, Raymond VII avait eu un fils, la conquête française eût pu être encore longtemps contestée et la maison de Toulouse eût peut-être, avec le temps, réussi à recouvrer une partie de son indépendance. La maison de Saint-Gilles était trop populaire dans le pays, le droit d’héritage trop universellement reconnu comme sacré pour que la spoliation pure et simple des comtes de Toulouse fût possible ; l’aventure de Simon de Montfort l’avait bien prouvé.
Raymond VII n’avait qu’une fille et la comtesse Sancie, depuis neuf ans, n’avait pas donné d’autre enfant à son époux. Si, en 1223, le comte songeait déjà à répudier l’infante d’Aragon pour épouser la sœur
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